SALLES DE CINEMA, PORTRAITS EN SERIE
À l’heure où le questionnement sur l’avenir des salles de cinéma est devenu incontournable, la Plateforme propose une série d’articles mensuels, de février à août, pour découvrir les coulisses de ce lieu en mutation : son fonctionnement, ses enjeux, les personnalités qui le font exister et qui le réinventent chaque jour. Après plusieurs focus sur des salles emblématiques des Pays de la Loire, l’enquête s’autorise aujourd’hui une sortie hors territoire régional, prend de la hauteur, pour mieux s’aérer les méninges et nourrir notre réflexion de bonnes pratiques relevées un peu plus loin.
QUESTION DE PERSONNALITÉ
L’histoire du LUX nous propulse ce mois-ci en Normandie. Un beau petit nom pour un lieu charmant qui a su se relever des vents contraires auxquels il a fait face au début des années 90. Deux anciens bénévoles, Didier Anne et Gautier Labrusse, dirigent aujourd’hui la structure associative caennaise.
« Dupond et Dupont ». Voici comment se présentent Didier Anne et Gautier Labrusse, les deux directeurs du LUX, à Caen. À l’image du célèbre duo, les voici inséparables dans leur activité, même si on ne dénombre chez eux qu’une paire de moustaches pour deux individus. Peu importe car si « on a l’impression que le cinéma c’est homogène, en fait ce n’est pas homogène du tout. Les gens travaillent vraiment différemment d’un lieu à l’autre. Et c’est bien parce que ça reflète les personnalités des gens qui l’animent ».
Qu’est-ce qui dans le cinéma anime ces deux individus ? Didier Anne n’a pas vu le coup venir. Alors collégien, il a mordu lors d’une sortie scolaire. Au menu : Le Cuirassé Potemkine de Sergeï Eisenstein, propulsé par des cartons « même pas sous-titrés en français ». « C’était un moment assez dissipé. Eh bien, c’est une séance qui des années après m’est restée ». Pour Gautier Labrusse, les premiers souvenirs de films en salle, c’étaient ceux où Bruce Lee balayait toute la surface de la toile de son talon. Avec ses frères, la gestuelle était imitée à la maison. Mais le vrai déclic qui l’a conduit à devenir bénévole pour le LUX est d’un autre genre. Il s’est produit lors d’une projection à l’université en 1988 de Tu ne tueras point de Krzysztof Kieslowski.
LA DYNAMIQUE ASSOCIATIVE
Petit crochet donc par l’université de Caen où depuis 35 ans, le LUX assure la programmation de la salle Pierre Daure. Parallèlement à ces séances, le cinéma a contribué à la mise en place de l’enseignement du cinéma dans ce cadre universitaire. Les étudiants comptent aujourd’hui pour beaucoup dans l’activité et le rayonnement de la salle. On les retrouve en nombre parmi la centaine d’adhérents que compte aujourd’hui l’association. Pour Gautier Labrusse : « La vie associative, c’est le moteur du LUX. Sur les 16 salariés, il y en a 15 qui ont été bénévoles avant de travailler ici ». Le lien affectif est très fort entre cette équipe et ce cinéma doté de trois salles dont deux équipées pour la projection en 35 mm, d’un espace convivial autour d’une cafétéria, de « La Plus Petite Salle de Cinéma du Monde » (deux places) et de ce qui est sans doute l’un des derniers vidéoclubs de France.
Pour Didier Anne, « la particularité du LUX et qu’on a vu souvent comme un inconvénient, est d’être excentré ». Le cinéma est en effet situé dans la partie Est de l’agglomération et est limitrophe des communes ouvrières comme Cormelles-le-Royal ou Mondeville. Gautier Labrusse met en avant la dynamique locale que suscite aujourd’hui cet emplacement. « En fait, le LUX est quasiment devenu un opérateur culturel de la rive où nous sommes. Les communes voisines tout comme les quartiers environnants, s‘appuient beaucoup sur le LUX pour développer des projets culturels ».
Si l’enthousiasme règne aujourd’hui dans l’association, Didier Anne et Gautier Labrusse sont pourtant arrivés dans le creux de la vague de l’histoire. Au début des années 90, « c’était limite si le LUX n’allait pas fermer », se rappelle Didier Anne. C’était la fin d’une époque pour le cinéma et le nécessaire passage de relais a suscité quelques remous.
FIGURE TUTÉLAIRE
Aujourd’hui les immeubles des quartiers de la Guérinière et de la Grâce de Dieu entourent le cinéma. Dans les années 60, l’environnement du LUX est encore celui des champs. Les pieds dans la terre, le public fait la queue pour assister aux séances. La salle paroissiale est à bout de souffle. Elle est reprise par une association menée par Gilbert Benois. Son engagement et son bagage de cinéphile viennent sauver une salle paroissiale proche de la fermeture. Au programme, davantage de séances, des films Art et Essai et donc des diffusions en VO, et cette fois-ci pas de cartons pour masquer les scènes « choquantes ».
La décennie suivante est une période faste pour le cinéma. Mais cette dynamique autour d’une figure tutélaire a aussi son revers. Ces « personnalités-moteurs » ont parfois le don de faire le vide autour d’elles. « Ce n’était pas du tout le même mode de gouvernance. Monsieur Benois décidait tout », explique Didier Anne, qui était alors bénévole. « C‘était un peu à l’ancienne. C’était très secret. Un peu paternaliste aussi ». L’ancien fonctionnement rencontre ses limites et entraîne « une période de flottement ».
Le LUX l’a même échappé belle. Une association malheureuse avec le groupe Pathé entraîne sa fermeture pendant deux ans. Un électrochoc est nécessaire. Le salut du LUX passe par un changement en profondeur de son fonctionnement interne. « Ce n’était pas la même façon de diriger, ce n’est pas les mêmes personnalités. Donc il fallait réfléchir autrement ». La période entre 1992 et 1995 est celle de la restructuration tant pour l’association que le bâtiment qui accueille alors une seconde salle. Une troisième suivra en 2007.
LE CONTEXTE DES DOUBLONS
C’est dans cette période de convalescence que voit le jour sur le même créneau de salle Art et Essai, à l’autre bout de l’agglomération et à l’initiative de la municipalité d’Hérouville Saint-Clair le Café des Images. Le contexte de l’agglomération de Caen est singulier avec l’existence de ces fameux « doublons ». Concurrentes, les deux villes les plus importantes du Calvados, Caen et Hérouville, marquent leur territoire à coup de lieux culturels. Chacune développe sa salle de concert, son théâtre et sa salle de cinéma. « Ce qui prolonge cette originalité pour le cinéma, c’est que contrairement à beaucoup d’autres villes, il s’agit de deux lieux équivalents, possédant trois écrans, ayant à peu près le même mode de fonctionnement, connaissant à peu près le même nombre d’entrées, et qui sont soutenus par la même collectivité, Caen la Mer », estime Didier Anne.
Cette coexistence joue sur la programmation des deux lieux. Avec Geneviève Troussier, l’ancienne directrice du Café des Images, la rotation des films entre les deux lieux s’organise. « Ce fonctionnement a pour conséquence que nous ne gardons pas très longtemps les films à l’affiche. Au LUX, comme au Café des images, nous sommes aux alentours de 400 films par an ». Pour les films d’Art et Essai les plus importants, l’une des structures sort quatre semaines le film et l’autre reprend après deux semaines, voire trois semaines. Cette répartition va moins de soi quand elle porte sur des films très attendus comme ceux de Ken Loach ou de Xavier Dolan. Chacune des structures souhaitent en assurer la sortie. Et Pathé, intéressé par ces « blockbusters » du cinéma d’auteur, n’est pas en reste. Le principal bénéficiaire est le distributeur qui se refuse de jouer les arbitres.
FINAL CUT
Cette relation avec les distributeurs est assurée par Didier Anne. Rôle très délicat si l’on en croit son expérience. « En tant que programmateur, à partir du moment où on décide de ne plus diffuser certains films, on a de fait droit de vie et de mort sur les structures qui les distribuent et les produisent. Je trouve ça assez terrible ». Après avoir discuté avec Gautier Labrusse, c’est pourtant à lui que revient la tâche de trancher dans une offre de films toujours croissante.
Habitué à prendre des décisions pour le LUX depuis plus de 20 ans, Didier Anne a l’analyse modeste sur les perspectives qui s’offrent aux salles moyennes. « Se projeter à 10 ans, moi, je n’en sais rien. Se projeter à 20 ans, je serais assez prudent. Mais dans l’avenir du cinéma, il y a cet aspect-là qui est super important : c’est ce que peut apporter le cinéma comme lien social, c’est-à-dire le fait d’être à la fois un lieu familier où on peut se retrouver pour discuter mais aussi un lieu de débat où l’on peut s’exprimer ». Les travaux menés en 2012 ont été dans ce sens. Ils ont permis d’agrandir le hall et de le rendre plus convivial. « C’était aussi dans la perspective de l’arrivée d’un multiplexe en centre-ville, pour contrer cette offre. On voit bien que ça a porté ses fruits puisque nous n’avons pas perdu d’entrées. On en a même gagné un peu ».
Avec la question de la transmission et du renouvellement des équipes, la thématique se fait plus personnelle. « À Deauville, lors du Congrès de la Fédération nationale des Cinémas Français, je discutais avec quelqu’un qui disait être très fier d’être en place dans le métier depuis plus de 50 ans. Moi aussi, je vais arriver là. Il faut donc aussi que je balaye devant ma porte. (…) Je pense cependant que le renouvellement des générations doit se faire par étapes. Ce qui est intéressant, c’est une certaine continuité (…) C’est une question qu’il va falloir que nous soulevions sérieusement ». Elle ne semble cependant pas trop l’inquiéter. Si Didier Anne peste gentiment contre la promotion à tout crin du terme « jeune », il reste confiant dans l’arrivée d’une nouvelle génération d’exploitants, à l’image notamment de ceux issus des rangs du cursus distribution/exploitation que propose la FEMIS depuis plus de 10 ans. L’une de ces figures, Agnès Salson, fera l’objet du prochain article de cette série.
Alexandre Duval
- Écouter ou ré-écouter La Rencontre du Pôle #8 (le 16 mars 2017) : La salle de demain : lieu de d’inspiration, de création et d’expérimentation animée par Agnès Salson dans le cadre du Festival Reflets du cinéma, un événement co-construit avec l’OPCAL et Atmosphères 53.
- Photo : Le tour d’Europe des cinémas, par Agnès Salson et Mickaël Arnal.
Retrouvez les portraits précédents :
- David Batard du cinéma le Gen’éric à Héric ;
- Sylvette Magne du cinéma Le Jacques Tati à Saint-Nazaire ;
- Emmanuel Gibouleau, du Cinématographe à Nantes ;
- Sylvain Clochard, directeur du Concorde de Nantes.