SALLES DE CINEMA, PORTRAITS EN COURS
La Plateforme, pôle cinéma audiovisuel des Pays de Loire œuvre en faveur de la mise en valeur de tous les acteurs de la filière. À l’heure où le questionnement sur l’avenir des salles de cinéma est devenu incontournable, le pôle vous propose une série d’articles mensuels, de février à août, pour découvrir les coulisses de ce lieu en mutation : son fonctionnement, ses enjeux, les personnalités qui le font exister et qui le réinventent chaque jour. Après un portrait de David Batard du cinéma le Gen’éric à Héric en février puis de Sylvette Magne du cinéma Le Jacques Tati à Saint-Nazaire en mars et d’Emmanuel Gibouleau, du Cinématographe, le mois dernier, l’enquête se poursuit à Nantes avec Sylvain Clochard, directeur du Concorde, cinéma mythique qui fête ses 100 ans cette année !
PORTRAIT 4/6 : SYLVAIN CLOCHARD, DIRECTEUR DU CONCORDE DE NANTES
PLUS LARGE QUE LA CINÉPHILIE
Ancien dancing, le cinéma Concorde continue de mener sa revue sur grand écran depuis maintenant cent ans. Aux commandes de ce fier cinéma nantais, Sylvain Clochard, exploitant engagé dans le maintien du lien entre public et salles modestes et géniales.
Sylvain Clochard a grandi dans le cinéma. Ce n’est pas une image. En juillet 1984, ses parents acquièrent le Concorde dans le quartier Zola, à Nantes. Enfant, le cinéma, c’est donc sa maison, son terrain de jeu. Ado, il se met à fumer « à cause de Bogart » et s’invite lors des séances « Midnight Movie » dédiées au cinéma de genre. Attiré par le goût de l’interdit et du bizarre, il découvre des productions insolites comme Cannibal Holocaust. De cette époque, il garde en tête l’image de son père organisant la projection de Rude Boy, film sur les Clash et le mouvement punk, et lançant à la file (indienne) qui lui faisait face : « je ne veux voir qu’une crête ».
Familier d’une salle qui proposait cinq séances par jour dans quatre salles différentes, Sylvain Clochard est vite devenu un « cinéphage ». Cet appétit, on le retrouve aussi dans son implication actuelle pour le cinéma. Il cumule ainsi les casquettes de programmateur du réseau de salles indépendantes Epic/Micromegas, de vice-président du Scare (Syndicat des cinémas d’art, de répertoire et d’essai), d’administrateur de la Plateforme, et surtout de gérant du Concorde, dont, avec son épouse Fanny, il a repris aujourd’hui la suite, il y a six ans.
CINÉPHILIE LÉGITIME ET ILLÉGITIME
Ce cinéma a donc fait l’objet d’une transmission familiale. Du statut d’exploitant-artisan, le Concorde est aujourd’hui une SARL et le projet est de faire évoluer la structure en SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) afin d’y faire entrer des personnes extérieures et des collectifs dans la gestion du Concorde. « La gouvernance unique du point de vue de la programmation a souvent généré un rétrécissement de la salle sur une cinéphilie dite légitime ». L’ouverture des publics, voilà une thématique que l’on retrouve dans l’ensemble des implications de Sylvain Clochard pour le cinéma. « On se rend compte qu’en fait, on ne fait certainement pas assez de choses pour que s’opère cette vraie démocratisation de la culture et de l’art cinématographique ».
Sylvain Clochard se désole des résultats de l’enquête qu’il a commanditée en 2016 sur la fréquentation du Concorde. « C’est assez terrible de voir à quel point il y a un public qui en est complètement exclu. Il s’agit d’une part d’un public jeune et d’autre part d’un public populaire. Évidemment quand c’est un public jeune et populaire, il ne vient pas du tout au Concorde ».
Dans son « cinéma international de quartier », comme il aime à le nommer, il souhaite faire une place à du cinéma d’auteur, comme à du cinéma de genre qui couvre l’alphabet de B à Z, mais aussi à des productions des grands studios, avec des films contemporains et pas seulement issus des années 40 à 60. « Il faut créer les conditions demain pour que toutes les cinéphilies puissent exister dans les salles indépendantes et Art et Essai ».
Même s’il reconnaît qu’« on a toujours tendance à favoriser sa cinéphilie par rapport à d’autres cinéphilies », il voit la programmation comme un jeu d’aller-retour avec le public.
« Il ne faut pas poser de carcans en disant : « la cinéphilie que je vous propose, elle est légitime, la vôtre, elle n’est pas légitime (…) C’est la leçon que j’ai retenue de mes parents : ne jamais être censeur ».
Bon gré mal gré, et incité par le public, il a ainsi programmé des productions très relayées médiatiquement comme Demain ou plus confidentielles tel Le Souffle des dieux, documentaire sur le yoga. Au Concorde, les deux films ont plus que rencontré leur public et n’auraient sans doute pas été projetés sur ces écrans si Sylvain Clochard n’avait pas gardé une oreille ouverte. Il estime que s’arc-bouter sur ses goûts et sa sensibilité, est l’une des failles majeures ayant causé l‘échec de nombreuses salles historiques cataloguées Art et Essai. À trop vouloir privilégier une certaine cinéphilie et un type de public, elles ont vu ce dernier se raréfier.
UN MARCHÉ DE PLUS EN PLUS CONCENTRÉ
La problématique du renouvellement des publics touche à la question de la pérennité des petites salles. Et celle-ci se pose d’autant plus que ces lieux de diffusion doivent faire face à une concurrence de plus en plus rude de la part des géants du secteur. Sylvain Clochard note que « beaucoup d’autres marchés européens ont déjà validé le fait d’être ultra concentrés, puisque ce sont souvent des marchés qui sont aux mains de trois-quatre opérateurs. En France, il y avait historiquement une vraie diversité à l’échelle du territoire ». La donne a changé depuis.
Publié en 2016, et commandité notamment par le DIRE, le syndicat des distributeurs indépendants, le rapport du juriste Pierre Kopp* porte sur les phénomènes de concentration dans la filière cinéma et pointe un rapport de force déséquilibré. Conséquence, le nombre de salles indépendantes se rétrécit de plus en plus. « On a perdu pas loin de 20% des salles indépendantes Art et Essai dans les grandes villes au cours des 15 dernières années », estime Sylvain Clochard. Le tableau que l’on peut faire de l’avenir est selon lui facile à dresser : « La salle indépendante de demain c’est la salle indépendante qui sera encore debout ».
Dans cette perspective, son cinéma n’est pas le moins solide. Cette « institution » nantaise tient bon depuis 100 ans et a l’avantage de disposer de quatre salles. Cette multiplicité d‘écrans permet de proposer une belle offre de films sans être contraint de les renouveler trop précocement. En tant que gérants du Concorde, Fanny et Sylvain possèdent un autre atout : être propriétaires des murs de leur cinéma. Cet acquis leur permet de ménager leur indépendance vis-à-vis des collectivités et les met aussi à l’abri de la hausse du prix du foncier que connaissent d’année en année les grandes comme les moyennes villes.
UN RISQUE POUR LE CINÉMA ET LA DIVERSITÉ
Si l’activité de son cinéma bénéficie de certaines garanties, la situation de la filière inquiète pourtant Sylvain Clochard.
« La disparition progressive des cinémas indépendants n’aura pas seulement une répercussion pour les spectateurs quant au choix des films proposés dans les salles. Ça va également impacter l’économie de la fabrication des films et de l’achat des films ».
Le métier d’exploitant implique des échanges très serrés avec les distributeurs. Habitué à échanger avec eux quasi quotidiennement, Sylvain Clochard explique ainsi comment il perçoit leur logique. Devant un marché historique des salles indépendantes qui tend à se réduire, ce sont autant de débouchés pour les films les plus fragiles qui sont amenés à disparaître. Conclusion : « Les distributeurs hésitent aujourd’hui beaucoup à produire ou à acheter des films de la diversité ».
Face à ces menaces qui engagent tout le secteur de la petite exploitation, l’engagement de Sylvain Clochard se fait directement sur le terrain politique. Dans le dialogue avec les élus sur l’aménagement des villes moyennes et grandes, il entend avec le Scare se substituer à l’avis des grands promoteurs du BTP et faire entendre un nouveau son de cloche. Auprès de l’association des maires de France (AMF), l’objectif est de prouver que le développement des petites salles de cinéma va dans le sens des logiques d’investissement que ces élus mènent pour leur ville. « Les maires et les promoteurs savent que les salles de cinéma sont des vecteurs de flux ».
Reste à appuyer la place spécifique des petites et moyennes exploitations. Reste aussi à créer plus que du flux. Et là, c’est de nouveau l’exploitant qui s’exprime. Comme beaucoup de ses collègues, Sylvain Clochard estime que les petites salles doivent changer de modèle. Pour leur survie, il est vital qu’elles accueillent en leur sein des espaces ouverts de sociabilité où puissent se retrouver, par exemple, des mamies pour jouer aux cartes. Ces cinémas doivent devenir des « des lieux qui ont des fonctions plus larges que la cinéphilie » mais aussi « des lieux de défense de certains systèmes sociétaux » qui puissent s’articuler avec des activités locales comme celles des AMAP. Le Concorde ou l’histoire d’un cinéma à part mais toujours en phase avec son époque.
Alexandre Duval
FICHE D’IDENTITÉ
Nom complet du cinéma : cinéma Le Concorde
Directeur et programmateur : Sylvain Clochard
Site web : www.leconcorde.fr
Contact : sylvain@leconcorde.fr / 02 40 58 57 44
Adresse : 79 bd de l’égalité – 44100 – Nantes
Labels et Classements : cinéma classé Art & Essai, Recherche & Découverte, Jeune Public et Europa Cinemas
Fréquentation en 2016 : 130 675
Nombre de films programmés à l’année : 393 en 2016
Tarifs pratiqués : 4€ – de 14 ans / 5€ moins de 26 ans / 6€ tarif normal / 48€ abonnement de 10 places
Réseaux : Micromégas-Epic (groupement de programmation), Association française des cinémas d’Art et d’Essai (AFCAE), Syndicat des Cinémas d’Art de Répertoire et d’Essai (SCARE), Europa Cinemas
Les événements phares du cinéma : avant-premières, ciné-débats, cycles thématiques et accueil des festivals.
Le Concorde est partenaire de Ciné Alter’natif, SoFilm SummerCamp Festival, le Festival des 3 Continents, Les Lucioles
Les trois meilleurs films en 2016 : Demain, Merci Patron !, Les Pépites
Retrouvez les portraits de cette série :
- David Batard du Gén’éric à Héric ;
- Sylvette Magne du cinéma Le Jacques Tati à Saint-Nazaire ;
- Emmanuel Gibouleau, du Cinématographe à Nantes ;
- Didier Anne et Gautier Labrusse du cinéma Le Lux à Caen.