L’avant première de Sea is My country vient d’avoir lieu au Cinématographe, le film a été projeté à la Fémis, tu termines un court-métrage tourné au Sénégal et tu entames le tournage d’un nouveau court en région.
Peux-tu nous parler de cette actualité croisée ?
Cet automne on commence à diffuser La mer est mon Royaume (Sea is my country) qui est un documentaire coproduit avec Arte. Le tournage a commencé en 2013 et le film s’est terminé au printemps 2015. Depuis, j’ai tourné un autre court-métrage au Sénégal qui s’appelle Yaadikoone: c’est un projet qui a longue histoire. Je l’ai tourné à Rufisque dans la banlieue de Dakar en juin dernier, il est actuellement en post-production. Ce mois-ci j’ai commencé le tournage d’un autre court-métrage qui s’appelle pour l’instant Le Règne Animal et que je tourne à coté d’Angers chez un viticulteur bio. Celui-là est un film à mi-chemin entre la fiction et le documentaire. Il va se tourner sur plusieurs mois.
Pendant que les deux premiers projets vont être diffusés je vais tourner tranquillement le troisième…
Ce qui est marquant dans ton parcours, c’est ton rapport au continent africain. Qu’est-ce qui te lie à l’Afrique et au Sénégal en particulier ?
J’ai cette attirance pour le lointain. J’ai fait des études d’Anthropolgie et de Sociologie et j’ai toujours été tenté de filmer l’ailleurs, même ici. C’est ce qui anime tous les projets que je viens de citer et même ceux que j’ai fait avant. D’ailleurs, Le Règne Animal risque finalement de s’appeler L’Apangée. C’était le super contient qui préexistait aux continents actuels: la roche qui est sous les vignes date de cette époque là. C’est tout un travail géologique que je mène à travers ce film.
L’Afrique, c’est lié à une rencontre. J’ai longtemps travaillé avec un cinéaste sénégalais, Massaër Dieng, décédé en 2012. On avait fait ensemble mon premier film Bul déconné ! en 2005. Lui, voulait faire un projet sur sa ville: Rufisque au Sénégal. J’ai commencé à l’aider, on a écrit le scénario ensemble et finalement on l’a coréalisé.
C’est sur cette aire culturelle là que ça a accroché. Ensuite, le Film Bul Déconné ! a été produit par Makiz’art que je venais de créer avec Eloi Brignaudy et Marie Giraudet. Bul Déconné ! était le premier gros projet développé par l’association. C’était un court-métrage devenu un long métrage en court de route. Il n’est pas sorti en salle car il n’avait pas de visa ni d’agrément. Mais il a beaucoup tourné en festivals et il est passé à la télévision. Ca a été ma première expérience forte liée à l’Afrique.
Après, avec Massër on a écrit un autre scénario de long métrage Dakar, en attendant la pluie dont l’écriture a mis plusieurs années à aboutir. On a fait beaucoup de résidences, de workshops internationaux avec ce projet. Massër est décédé avant que l’on puisse le financer et le tourner. Je suis resté avec ce scénario entre les mains que je compte toujours réaliser. C’est de ce scénario que j’ai adapté Yaadikoone: j’ai pris l’une des sous-histoires du long métrage et je l’ai fait évoluer pour former un court.
Yaadikoone était un tournage très attendu au Sénégal. J’avais déjà fait des repérages, visité la maison et le quartier dans lequel j’ai tourné. Toute une équipe m’attendait là-bas. J’étais accompagné de 6 techniciens français dont 5 de la région Pays de la Loire. Le reste de l’équipe, soit environ 25 personnes, était sénégalaise. C’est un film en wolof très sénégalais. Ce n’est pas forcément un problème de tourner en langue étrangère. Dans Sea is my country il y a du russe, de l’allemand, de l’arabe égyptien, du français gabonais… c’est une lecture des gestes, du comportement des corps, c’est une lecture de l’instant et un aussi gros travail de post production.
Mis à part ce continent, est-ce qu’on trouve dans tes films des figures ou des thèmes récurrents ? Qu’est ce que tu veux montrer ou transmettre à travers les films que tu réalises ?
C’est assez variable. Il y a effectivement ce motif récurent de l’intérêt porté vers les autres cultures, l’ailleurs, très lié à ma formation. Au-delà, il y a un aspect militant plus ou moins développé selon les films.
France-Brésil par exemple est un film très politique et militant, Bul déconné ! Aussi. , un long métrage que je développe actuellement l’est encore davantage. Sur des films comme Agosto la poésie prend le dessus et sur Sea is my country aussi mais on reste dans un contexte social, très marqué, dans un monde du travail, on ne porte pas de jugement direct… C’est une dénonciation indirecte qui opère par le biais d’ une immersion au sein du capitalisme industriel.
Souvent, c’est la poésie qui l’emporte. Je cherche à avoir de l’empathie pour les personnages que je filme, à être porté par quelque chose qui relève de l’émotion: c’est ce qui guide les choix au sein de mes films. Il y a le cadre de départ, l’envie, l’intention fondamentale. Mais les intentions formelles vont davantage vers la poésie.
Tu es à l’origine de l’association Makiz’art que tu avais fondé à l’occasion de ton premier film. Peux-tu revenir sur cette nécessité de mise en réseau ? Quelle place prend le collectif dans ta démarche ?
Au départ, j’avais le désir de faire des films mais sans forcément y croire. J’ai donc continué mes études en parallèle, sans opter pour une école de cinéma. J’ai donc d’abord fait sociologie et anthropologie à l’université de Nantes et seulement après un master de Cinéma documentaire à Paris. Depuis, j’ai suivi une formation à la Fémis dans le cadre de Seamen’s club, un projet d’exposition.
Makiz’art vient de cette hésitation là. Quand j’étais au lycée, j’ai écrit un scénario qui a gagné un concours. Le film issu de ce scénario s’appelle C’est presque terrible… C’était un concours de scénario au sujet de la drogue. Lorsque j’ai tourné ce film, c’était la première fois que je mettais les pieds sur un plateau de cinéma. J’avais simplement écrit une histoire en une nuit sur un sujet qui me motivait, sur lequel je voulais porter un regard. Lorsque j’ai rencontré Lionel Mougin, le réalisateur du film et l’équipe technique autour de lui, j’ai compris que ce n’était pas forcément nécessaire de faire une école mais plutôt de constituer une équipe pour pouvoir faire des films: c’est le conseil qu’ils m’ont donné. Comme c’était ma première expérience j’ai tout simplement suivi ce conseil.
J’ai donc intégré une association à Nantes qui ne fonctionnait pas tellement, on est plusieurs à l’avoir quittée pour monter Makiz’art. Les choses évoluent d’un projet à l’autre, mais cette équipe m’entoure toujours. Jérémie Halbert et Vincent Pouplard étaient avec moi sur le tournage Yaadikoone. Sur Dakar en attendant la pluie, le sujet tourne autour d’un quartier particulier. On avait eu l’idée de mettre en place un atelier pour accueillir le tournage sur le quartier et on l’a confié à Makiz’art. Le long métrage ne s’est pas fait pour l’instant mais le projet porté par Makiz’art, qui s’appelle Cinemaascoop, s’est lui concrétisé et le court métrage en a bénéficié. En parallèle au tournage de Yaadikoone plusieurs personnes de Makiz’art encadraient l’atelier. C’est grâce à cet atelier que l’on a fait le casting des enfants. Le rôle titre est porté par un enfant de 10 ans, Baye Doudou, qui a été repéré à Rufisque pendant l’atelier.
Tu développes différents dispositifs pour préparer ou construire tes films (une exposition Seamen’s club pour La mer est mon royaume, un atelier pour Yaadikoone, comment expliques tu cette démarche ?
Ca rejoint une idée qui est celle de mêler fonction et documentaire. Je fais du cinéma de fiction mais je suis formé au cinéma documentaire. Quand je fais du cinéma documentaire, j’ai envie qu’il ressemble à de la fiction… j’utilise des moyens de cinéma. Cette manière de faire trouve son ancrage dans ce croisement-là.
L’exposition Seamen’s club est née d’une résidence que j’ai fait à Saint-Nazaire sur le monde du travail. Je faisais des ateliers avec les ouvriers, les salariés pour leur donner les moyens de filmer leurs conditions de travail. J’avais un temps sur place avec accès aux entreprises pour développer un sujet et faire un film. A la fin, j’ai eu l’idée de travailler sur les marins et c’est comme ça qu’est né le projet. J’étais en résidence au centre de culture populaire et j’ai fait un premier court, La mer est derrière nous, qui m’a ensuite servi pour écrire un film plus long pour lequel j’ai été sélectionné à la formation de la Fémis dans le cadre de l’atelier du film documentaire. J’ai développé le film Sea is my country dans le cadre de la Fémis et à ce moment-là j’ai été contacté par le Life à Saint-Nazaire pour imaginer une exposition visuelle/sonore, pour rapprocher le port du centre ville, donner à voir ce monde-là qui s’excentre de plus en plus des villes.
Moi qui avait toujours rêvé de faire une exposition, les conditions étaient alors réunies. C’était une carte blanche, sur 1600m 2, avec 5 installations monumentales. Une partie de l’exposition a été montrée au Sunny Side of the Doc à la Rochelle, d’autres parties le seront en janvier prochain au Fipa à Biarritz et peut être à nouveau à la Rochelle en avril.
Quels sont tes rapports avec les autres réalisateurs en région ?
A l’occasion on se voit, on se fait lire nos scénarios, notamment avec les auteurs de Makiz’art. Je travaille depuis Nantes parce que j’habite ici. Mais mes films se font ailleurs. Pour la fiction, c’est difficile de trouver des producteurs sur Nantes ou en région alors je travaille avec des producteurs parisiens. Après dans le réseau élargi, on se croise, on discute on s’informe, on organise des ateliers d’échange sur des projets. C’est toujours pour moi un problème d’animer la filière car j’ai toujours du retard sur mes projets. J’en fait peut être trop…
Qu’est ce que tu peux attendre d’un outil comme celui proposé par La Plateforme ? En quoi cela peut répondre à tes besoins ?
Un local pour écrire ça serait bien… C’est difficile de trouver des lieux pour écrire. Chez soi ce n’est pas toujours simple. Dans un bureau, ça serait un peu figé. Il y a bien les médiathèques, mais en termes d’horaires c’est pas toujours adapté à nos pratiques. Un bar-librairie-médiathèque où il y aurait des bureaux, où l’on pourrait être au calme avec des ressources autour serait l’idéal.
Sinon, la mise en réseau à l’échelle régionale va permettre de rendre plus visible ce qui se passe ailleurs. Je veux pouvoir rester attentif à ce croisement de l’ici et de l’ailleurs. En ce moment je fais un film produit à Angers avec un ingénieur son angevin. Le maillon régional est intéressant, la découverte de talents et de collaborateurs dans tous les métiers que l’on est amené à croiser. C’est utile pour être informé, améliorer les rencontres, les collaborations, intégrer les jeunes qui sortent des écoles, pour faire vivre les films au niveau régional, les faire connaître, voir ce que les copains ont fait durant les 10 ans qui précèdent ! Il y a beaucoup d’intérêt pour tout le monde à faire vivre la filière.
J’ai appris que tu avais un long métrage en production…
J’ai deux long métrages en développement. Dakar en attendant la pluie, j’ai fait le court avec toute mon énergie pour passer à l’étape suivante. L’autre, c’est Championze, un scénario fortement inspiré de l’histoire de Battling Siki, le premier boxeur noir africain à être devenu champion du monde de boxe dans les années 1920, au terme d’un combat qu’il était censé perdre. Les managers avaient signé pour faire un film de ce combat. Il devait donc durer au moins 10 minutes pour être commercialisé, c’était le début du cinéma de sport et il y avait un arrangement qui faisait tomber Siki à la deuxième et à la quatrième reprise. Il combattait contre George Carpentier, un grand héros de la guerre. Siki l’était aussi. Mais il était tirailleur alors que Carpentier était aviateur. C’était un combat de classe sociale mais aussi de « race ». Le meilleur noir contre le meilleur blanc. Mais lors du combat, Carpentier qui ne devait pas faire de mal à Siki a tapé fort et celui-ci s’est révolté en mettant KO Carpentier, pourtant donné vainqueur du combat arrangé… Alors le public s’est retourné pour prendre position pour Siki qui est devenu champion du monde grâce à la révolte d’un public blanc. Ce film raconte une première brèche dans l’empire colonial.
C’est un épisode de sa vie, les autres sont tout aussi croustillants ! Je veux monter un film autour de son histoire avec une dramaturgie dense, et faire un film militant. Après, la production est compliquée, c’est un film d’époque qui coûte cher. Pour l’instant on n’a pas le financement. Ce n’est pas un premier film mais ce n’est pas pour autant que je vais lâcher. Je suis en train de réécrire le scénario, on a construit un casting, on a une co-production avec la Belgique et on cherche un distributeur pour faire le film dans les deux ans qui viennent.
Propos recueillis par Hélène Morteau.