Un territoire, des auteurs et des atmosphères
De plus en plus, la Mayenne assume sa « gueule d’atmosphère » de tournage et d’écriture. Depuis 2012, conduit par le très dynamique Antoine Glémain, Atmosphères production a mis en place une série de résidences artistiques. Enjeu principal: attirer les auteurs sur un territoire encore trop peu convoité par les productions. La Plateforme a rencontré l’initiateur de ces résidences.
Comment est né ce projet de résidence en Mayenne ?
Antoine Glémain : La structure Atmosphères production a été créée en 2009 dans la continuité d’Atmosphères 53, qui s’occupait essentiellement de diffusion de films. A l’époque j’étais directeur de cette structure et j’avais constaté qu’il manquait quelque chose du côté de la production. Il fallait encourager la venue de productions dans ce département où trop peu de films étaient tournés. Le noyau de l’association s’est crée autour de cette idée simple.
Comment ces résidences fonctionnent-elles ?
D’emblée nous avons mis en place avec notre équipe une sorte de cahier des charges. Il s’agissait d’accueillir chaque année un auteur, qu’il soit cinéaste, écrivain ou scénariste, porteur d’un projet de film en Mayenne. Et de l’inviter sur un temps de résidence relativement long. Puis que ce projet aboutisse à un film, une oeuvre qui exprime le regard subjectif d’un auteur sur notre territoire. A chaque résidence nous avons organisé plusieurs rencontres entre l’auteur, son film et la population. Cette formule qui permet de stimuler la création est restée la même depuis sa naissance.
Comment avez-vous trouvé des auteurs prêts à venir en Mayenne ?
Le Festival Les Reflets du Cinéma a été pour nous un formidable vivier de rencontres, de films, d’auteurs et de croisement de thématiques. L’idée était de faire la démarche inverse du festival: au lieu d’ouvrir le public mayennais à des films du monde entier, nous proposions à un auteur dont nous aimions le travail de venir sur notre territoire et d’y poser son regard artistique. Ce pouvait être une séquence d’un long métrage, un court-métrage, un dispositif expérimental. Mais pour que cette résidence fonctionne, il faut laisser l’auteur absolument libre. Il n’a jamais été question d’imposer un temps de présence, ni un sujet. Nous inventons la résidence avec l’auteur, elle s’architecture en fonction de son projet. Si bien que chaque résidence est unique. C’est ce que les auteurs apprécient.
Avez-vous l’exemple d’une résidence emblématique ?
La résidence que nous avons organisée en 2015 a eu lieu avec un cinéaste japonais, Akihiro Hata, qui a joué le jeu magnifiquement. Il est venu à plusieurs reprises, a trouvé beaucoup d’éléments ici pour nourrir son film. Mais très vite, il nous a dit que les moyens de la résidence ne suffisaient pas. La résidence est devenue un lieu d’écriture, puis de repérage et de casting (Akihiro Hata cherchait des non professionnels issus du monde rural). Pour développer son projet, il a pu s’appuyer sur notre connaissance du territoire. Après cette étape, nous sommes entrés en coproduction avec la société Good Fortune Films et son projet de film, A la chasse, a obtenu des aides à la production de la Région des Pays de la Loire puis du CNC, et il a été pré-acheté par Arte. Effectivement tourné en Mayenne en mars 2016, il sera prêt cet été. Une fois terminé, il sera montré dans toutes les salles de la Mayenne, car nous pouvons nous appuyer sur un réseau de salles que nous connaissons bien. La résidence a été un déclencheur et cette idée nous plaît beaucoup pour les années à venir.
Tournage du film A la chasse de Akihiro Hata en Mayenne © Coté Laval
Cette année vous avez décidé d’accueillir l’écrivain François Bégaudeau. Vous pouvez nous en dire plus sur son projet de résidence ?
Nous voulions travailler sur « la représentation » et nous en avons parlé avec François Bégaudeau, qui était depuis longtemps intéressé par le sujet – à la fois politique et cinématographique. Il a décidé de réaliser avec nous un documentaire, intitulé N’importe qui, à partir d’une simple question posée à une trentaine de citoyens aux quatre coins de la Mayenne : « Pensez-vous être bien représentés ? ». La résidence a comporté aussi une série de séances au cinéma de Mayenne, co-animées par François Bégaudeau et des volontaires locaux (une architecte, un élu, un étudiant en cinéma…). Lors de la dernière séance, le 30 avril 2016, le film a été présenté en avant-première au public mayennais.
Le projet est ambitieux, comment se passe la rencontre avec les Mayennais ?
Il donne lieu à des échanges vifs et passionnés au moment du tournage des entretiens et des séances en salles, comme au sein de l’équipe qui accompagne François Bégaudeau dans sa résidence. Ces échanges trouvent leur prolongement, à destination d’un public plus large, dans les médias locaux (France Bleu Mayenne, Ouest France, Le Courrier de la Mayenne) partenaires du projet.
J’aimerais évoquer l’aspect financier de votre projet.
Sur le plan de l’association, nous sommes sept bénévoles, nos moyens sont limités. Nous avons obtenu au départ de ce projet, le soutien de la DRAC, du Conseil Régional des Pays de la Loire et du Conseil Départemental de la Mayenne. Nous avons un budget fixe de 15 000 euros et nous nous débrouillons avec ça. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas produire les films dans le cadre des résidences. Par contre, accueillir les auteurs, payer leurs déplacements, les frais de développement, organiser les diffusions, fait partie de nos prérogatives. Nous mettons également gracieusement à disposition des auteurs les ressources matérielles et humaines de notre association. C’est une façon de protéger l’acte de création qui reste fragile.
Êtes-vous parvenus à mesurer l’impact de ces résidences sur le territoire ?
Lorsque l’on travaille sur la diffusion, on mesure de manière très précise l’adhésion ou non à un film. Dans la création c’est différent. Pour nous et pour toute la population ce contact avec la création est un véritable privilège et un encouragement pour la jeunesse. Mais pour être honnête avec vous, notre activité de production est restée jusqu’à présent un peu souterraine. Toute l’intelligence de nos soutiens, c’est d’avoir compris qu’il y avait des enjeux sur le long terme. Ce qui est capital pour nous, c’est que la Mayenne ne soit pas un désert en terme de création cinématographique. Nous sommes les premiers à souhaiter que les professionnels de la région soient associés à ces tournages et nos premières productions sont très encourageantes.
Qu’est-ce qui vous semble le plus intéressant dans ce que vous avez mis en place ?
Nous avons démontré qu’il était possible de faire des choses avec des moyens relativement limités et un peu de constance. Il y a eu, sans préméditation, une assez grande variété des projets, et ça c’est une expérience très riche. L’expérience avec Akihiro Hata me semble être un schéma assez porteur. Que la résidence soit un préalable à la production. C’est vers cela qu’il faut se diriger.
Quels sont vos projets avec Atmosphères Production ?
Nous voudrions passer à deux résidences annuelles: une première sur le principe des résidences actuelles et une seconde où l’on fasse plus appel à des jeunes talents locaux. Nous allons développer cette idée dans les mois à venir, mais il y a encore beaucoup de travail.
Propos recueillis par Xavier Liébard
LES RÉSIDENCES ATMOSPHÈRES PRODUCTION
2012 : Première résidence de deux auteurs argentins Frédéric Hontschoote et Francisco Lleiva. Leur travail a abouti à la réalisation d’un court métrage, Tout ça pour un tango, tourné en partie en Argentine (Buenos Aires) et en partie en Mayenne.
2013 : Accueil d’un documentariste, François Fronty. Développement et réécriture d’un projet de long métrage de fiction, Vatula, qui doit se dérouler pour partie au Bengale, et pour partie en Mayenne. Le film est encore au stade de pré-production.
2014 : Résidence de la blogueuse photographe et vidéaste Aurélie Amiot pour une création graphique personnelle et une série photographique de portraits et paysages en Mayenne.
2015 : Résidence du cinéaste japonais Akihiro Hata qui a favorisé la préparation d’un court métrage de fiction intitulé A la chasse, prochainement diffusé sur Arte.
2016 : Résidence de l’écrivain François Bégaudeau, autour d’un nouveau projet: Cinéma et démocratie. Le projet inclut la réalisation d’un film documentaire tourné en Mayenne, intitulé N’importe qui.
Lien: http://www.atmospheresproduction.org