François Guillement fait partie des dix auteurs qui ont participé au Parcours d’auteurs #1 de La Plateforme. Son projet ? À contre courant, un film documentaire. François suivra Anthony qui vivra deux mois sur la Loire, en la remontant à la voile, sans moteur, contre le courant. Or le tournage a enfin commencé ! Retour sur les étapes du projet.
Page Facebook du tournage par ici !
Étape 1, mai 2017
Anthony Gorius me présente son bateau, chez lui près de Chateaubriand. Je connais Anthony depuis 15 ans. Il est artiste clown, marionnettiste, musicien. Il vit avec Daphné Gaudefroy, une amie d’enfance.
Je les ai filmés pour des sujets pour Télénantes, notamment avec leur groupe de musique Le Magot de mémé. J’ai aussi fait un film documentaire de 52 minutes La Saltimbanque sur le trio qu’ils ont formé avec Samir Antri-Bouzar, un charpentier de marine de Trentemoult, pour construire un énorme bateau de 18 mètres de long. Un soir, Anthony m’a parlé d’un nouveau défi : remonter la Loire sur un petit bateau à voile sans moteur. Il a eu cette idée saugrenue après avoir pas mal navigué avec plusieurs bateaux traditionnels, et au contact de connaisseurs de la Loire. J’ai eu envie de refaire un documentaire avec lui.
Pour me lancer dans un travail d’écriture sur son désir de remonter la Loire, j’ai rédigé un dossier pour postuler au Parcours d’auteurs mis en place par La Plateforme. Et j’ai eu la chance d’être sélectionné pour participer à cette belle expérience.
Étape 2, novembre 2017 :
repérage à Cuffy, près de Nevers
Lors de la première session du Parcours d’auteurs de la Plateforme, en octobre, nous avons été en immersion au Prieuré de Vivoin, en Sarthe. J’ai rédigé des textes, grâce au temps que nous avions pour écrire, à l’émulation du groupe et aux conseils d’Olivier Daunizeau, le tuteur documentaire.
Après cette semaine, nous devions développer chez nous un dossier d’aide à l’écriture. Pour me rassurer sur la faisabilité du projet d’Anthony, je suis allé avec lui rencontrer son ami Bibi à Cuffy. Ancien pêcheur de Loire, fils de pêcheur, ce personnage haut en couleur construit des bateaux de Loire. C’est un passionné de la navigation en rivière et de bateaux du patrimoine. Il navigue sur la Loire depuis qu’il a 8 ans. Nous avons mis en voiture un peu plus de 5 heures pour le rejoindre. Là où Anthony mettra plusieurs mois à faire le trajet avec son bateau !
Bibi habite une maison pas loin de l’eau, pas loin de son chantier. Le visage marqué par les traces de suie des soudures, il nous a offert le gîte et le couvert. Nous avons discuté jusqu’au petit jour de bateaux et de fleuves. Il a donné des conseils avisés à Anthony. Il nous a mis en garde sur les dangers cachés de la Loire où l’accident peut arriver d’un coup, par surprise. Sur les qualités du bateau, qui devra être performant pour remonter le courant. Il a une langue authentique et poétique : « Il te faut absolument une bourde ! Au moins avec ça, tu pourras prendre appui sur la planète ! »
Étape 3, mars 2018 :
la Janjan est mise à l’eau pour la première fois
Après la seconde session d’écriture du Parcours d’auteurs de La Plateforme de janvier, tout est allé très vite. Une séance de pitch nous a permis de présenter nos projets à des producteurs, des diffuseurs et des représentants des collectivités locales. Olivier Brumelot, délégué à l’antenne et aux programmes France 3 Pays de la Loire, s’est tout de suite dit intéressé par mon film. Il a aimé ses aspects imprévisibles et aventureux, et le lien narratif qui pouvait exister entre Daphné et Anthony.
J’ai très vite trouvé deux producteurs : Benjamin Serero de Beppie films (Paris), que je connaissais déjà, et Christophe Camoirano de Girelle production (Orléans), que j’ai rencontré lors de la seconde semaine du Parcours d’auteurs. Nous avons finalisé le dossier d’aide à l’écriture ensemble. De son côté, Anthony a avancé dans sa préparation. Il a remanié la cabane en bois de son bateau, sur lequel il prévoit de dormir pendant son voyage. Il l’a mis à l’eau avec Daphné en mars. J’ai pu y monter pour la première fois, et constater que je n’y aurai que très peu de place.
Étape 4, juin 2018 :
bivouac avec Anthony près de Chalonnes
Au printemps, nous avons obtenu l’aide à l’écriture de la région Centre-Val-de-Loire. L’attribution s’est faite sur dossier puis entretien à Tours. Les retours ont été très positifs et les échanges constructifs. J’ai constaté que le projet suscite la curiosité et l’enthousiasme. Cela m’a fait très plaisir et a contrebalancé trois refus d’aide à l’écriture : CNC, Brouillon d’un rêve de la SCAM et aide au développement de la région Pays de la Loire. Ce fut une période de doute, de discussions, de questionnements sur l’orientation que l’on voulait donner au film et au dossier. J’étais tiraillé entre l’aspect homérique de l’aventure d’Anthony et les éléments qui la font tendre vers la comédie. Je suis allé voir Anthony régulièrement. Le projet étant validé par Olivier Brumelot de France 3, j’espérais qu’aucun grain de sable ne vienne remettre en cause le tournage et qu’Anthony pourrait réellement remonter le courant de la Loire avec sa simple voile. Daphné me rassurait : « Tu le connais ! Il va réussir ! » J’aurais aimé naviguer avec lui pour prendre la mesure de ce que sera le tournage. Mais entre ses activités, les miennes et le vent qui ne soufflait pas dans le bon sens, nous sommes juste arrivés à passer deux jours près de Chalonnes, sans pouvoir naviguer à la voile.
Cela m’a permis de valider les enjeux graphiques de mon projet. Le bateau d’Anthony a une puissance visuelle très intéressante, et une fois aménagé, j’aurai une petite place dedans ! Les photos prises à Chalonnes ont servi à illustrer une nouvelle version du dossier de production que nous avons soumis aux régions Pays de la Loire et Centre Val de Loire. Ces deux aides représentant une grosse partie du budget du film, l’enjeu était donc énorme : il nous en fallait au moins une.
Étape 5, novembre 2018 :
la Loire à sec à Amboise
Nous avons appris coup sur coup, en septembre, puis novembre, que les deux régions du Centre-Val de Loire et Pays de la Loire nous accordaient une aide à la production. En plus de l’apport financier, cela légitimait le projet. L’oral de Ciclic (l’organisme qui gère les aides pour la région Centre-Val de Loire) a montré que le dossier a bien été compris et très apprécié. Cela m’a donné beaucoup d’énergie. Durant l’été et l’automne, j’ai fait des repérages à Saumur, Chinon, Tours, Amboise et la Charité sur Loire pour me familiariser avec les paysages, les villes et villages qui bordent la Loire. Anthony faisait les derniers préparatifs de réglages de voile, d’aménagement de l’intérieur de la cabane. Il a acheté une corde spéciale de 100m de long pour pouvoir tirer son bateau aux endroits où il y aura trop de courant. Au niveau des ponts anciens par exemple, il devra sûrement passer en se halant avec cette longue corde. Le problème du moment, c’était le niveau de la Loire, qui était en sécheresse exceptionnelle.
Pas de départ possible en novembre. Pas de vents d’ouest non plus, qui nous auraient permis de faire des tests de navigation. J’étais persuadé qu’il pleuvrait assez pour qu’on puisse partir courant décembre. Je m’étais complètement libéré de toute autre activité depuis déjà mi-novembre.
Étape 6, décembre 2018 :
le départ d’Anthony
Les mois de novembre et de décembre 2018 on été des mois sans vents d’ouest. Et donc sans pluie. Or Anthony avait besoin d’un bon niveau pour passer par dessus certains obstacles comme des épis, des barrages. Avec une Loire en crue et étalée dans les prairies, son bateau pourrait prendre des chemins de traverse, là où il y a moins de courant, et où le vent est plus favorable. Mais la Loire restait basse, à des niveaux d’été, la crue n’arrivait pas.
Début janvier, les conditions n’étaient toujours pas réunies et Anthony commençait à devenir nerveux. Il s’était donné trois mois pour son périple, mais novembre et décembre étant passés, les délais devenaient compliqués : Daphné avait un contrat fin février et il devait avoir fini son voyage pour s’occuper de la maison pendant l’absence de Daphné. Il voulait partir avec plusieurs jours de vents d’ouest, pour avancer au début de son voyage, mais cela ne se présentait pas. Je commençais à craindre un report du voyage plus tard, une autre année.
Mais le 8 janvier, par un temps grisâtre et un ciel complètement bouché, Anthony s’est lancé avec un tout petit vent qui l’a fait avancer de 5 kilomètres. Les images n’étaient pas spectaculaires, et la lumière triste et terne. Il a atteint Anetz, où il est resté quelques jours à attendre la prochaine risée. Il a déclaré une fièvre qui l’a beaucoup fatigué. Puis il a tenté de repartir mais le vent insuffisant l’a fait redescendre d’un kilomètre. L’aventure commençait difficilement. Il se donnait un mois et demi pour faire Ancenis-Nevers !
Le décalage du départ en janvier a changé la donne : pas de séquence de bivouac à Noël en famille comme prévu ! Et puis Anthony avait des obligations fin février, et le voyage qui aurait pu durer 3 mois s’il était parti en décembre, était maintenant limité à 1 mois et demi, deux mois.
Étape 7, février 2019 :
ni eau, ni vent
Je savais, en choisissant ce sujet, que le tournage allait être techniquement difficile. Le bateau était exigu et je pensais être confronté à la pluie, au vent et au froid. J’ai choisi un petit appareil hybride, dont les assistances de mise au point m’ont permis de ne pas avoir trop de déchets en image, malgré le soleil, les contre-jours, les positions acrobatiques et les mouvements du bateau. J’avais trois optiques et des densités neutres variables pour faire le diaph.
En fait, je n’ai presque pas eu de pluie. Les périodes de vents d’ouest, chargés d’intempéries, ont été rares. Cela a facilité le tournage, mais en même temps, cela a cruellement manqué à Anthony, mettant en péril son voyage. Même les températures ont été clémentes : nous avons passé quelques jours à 18 degrés en février, un record de chaleur. Mais Anthony n’était pas venu bronzer ! Le manque de pluie a empêché la crue de la Loire et dans le lit du fleuve, qui fait souvent plusieurs centaines de mètres de largeur, nous avions pied. Dès le premier jour, Anthony s’est ensablé et à plusieurs reprises, nous avons dû tirer le bateau tous les deux, en faisant attention aux remous, bancs de sables et en longeant les culs de grèves réputés très dangereux.
Rapidement, Anthony s’est focalisé sur la météo, le tracé de sa route, les problèmes techniques. Sa remontée a été un peu moins euphorique et romanesque que lui et moi l’avions fantasmée. J’ai dû faire beaucoup d’efforts pour prendre du recul et ne pas me laisser happer par les contingences matérielles. Le film a été une mise à l’épreuve psychologique, un couple en tension, une aventure intérieure.
Étape 8, mars 2019 :
impossible de rien prévoir
Pierre Boureau m’a accompagné pour faire le son des séquences à terre. Il me suivait quand j’étais sur le bateau, en filmant de la rive. Entre son agenda, le mien et le vent qui portait Anthony de plages en grèves par petits sauts de 5 ou 10 km, les jours de tournage étaient très compliqués à prévoir. Sans compter que la durée du voyage, et donc du tournage, était très aléatoire et qu’il fallait essayer de garder des jours de tournage si l’aventure devait durer davantage. Un accident pouvait arriver n’importe quand et clore l’histoire. Heureusement, ce n’a pas été le cas. Mais Anthony s’est donné du temps supplémentaire, décalant la fin du tournage d’un mois. Je devais adapter en permanence le tournage en fonction des péripéties, des décisions qu’Anthony prenait, des évolutions qui n’ont pas manqué durant le périple. Je devais amener tout le matériel, les deux caméras. Je suis aussi souvent parti seul, au jour le jour, en fonction de ce qui se passait sur le bateau.
À plusieurs reprises, je suis monté sur le bateau sans Pierre, comptant sur les rencontres pour me ramener ensuite à ma voiture. J’ai vite renoncé à essayer de prévoir la longueur des étapes et le couchage. J’attendais la tombée de la nuit, là où Anthony s’arrêtait, pour voir si quelqu’un rencontré pendant la journée pouvait m’héberger ou si je devais chercher une chambre d’hôte dans le secteur. Pour donner un exemple de cette impossibilité de prévoir les étapes, Anthony est arrivé au bec du Cher le samedi 9 février. Il lui restait 19 km pour atteindre Tours, ce qu’il pouvait faire en une étape, avec un bon vent. Le lundi 11 s’annonçait plutôt bien et je pensais qu’il pourrait y arriver. Finalement, il n’a atteint Tours que 17 jours plus tard, le 28 février ! Dans ces conditions, il a été impossible de caler une journée de tournage en drone comme j’aurais aimé.
Étape 9, mars 2019 :
le « taré »
Entre les bancs de sable où il devait tirer le bateau, les ponts infranchissables et les journées d’attente interminables, son voyage s’est un peu transformé en chemin de croix ! Avec sa page Facebook et les articles de presse, les amoureux de la Loire ont vite fait passer l’info. Cette communauté était fascinée par l’aventure, par sa difficulté et par l’énergie d’Anthony dans les petites vidéos qu’il filmait pour Facebook. Un jour de détresse, l’une d’elle a été vue 6 000 fois en quelques heures. La communauté de la Loire savait qu’un « taré » remontait le fleuve à la voile cet hiver 2019 ! Des gens venaient à sa rencontre, sans avoir exactement où il était. Un kayakiste a mis deux jours avant de le croiser ! Un écrivain auto-stoppeur l’a retrouvé en scrutant la Loire de la voiture qui le conduisait : « Je cherche une voile rouge sur la Loire ! Aidez-moi madame ! ». Sa chienne Nina était reconnue dans les villages où l’on se promenait.
Beaucoup de gens lui ont proposé le gîte et le couvert. Les rencontres filmées et gardées dans le film ont été le fruit de purs hasards. Les séquences un peu repérées, comme le passage du pont Wilson à Tours ou l’arrivée à Orléans, ne se sont finalement pas déroulées comme prévu, et n’ont pas été gardées au montage ! Ce sont ces moments imprévus qui font l’armature du film, avec les rapports entre Anthony et Daphné en fil directeur.
Étape 10, juin 2019 :
le sprint final
Le tournage qui devait se terminer fin février a finalement duré un mois de plus, décalant le travail de pré-montage prévu à Nantes. J’ai eu très peu de temps avant le montage lui-même, pour prendre du recul sur le tournage, pour dialoguer avec Morvan Prat, le compositeur. Tout s’est enchaîné beaucoup trop vite ! Je me suis retrouvé à Rennes, à la filière documentaire de France télévision, où j’ai dû travailler pendant 2 mois, loin de mes deux producteurs parisiens et orléanais, et de ma famille nantaise.
Anthony n’a pas réussi à atteindre Nevers, qui était un objectif irréaliste, et il n’a pas retrouvé son copain Bibi comme prévu. Mais il a réussi l’exploit d’arriver à Orléans. Il a fait 300 km à la voile, comme les mariniers le faisaient avant les moteurs. Il a donné un élan de liberté à un tas de gens, fascinés par la beauté poétique de son geste romanesque. Daphné, sa compagne, lui a permis de réaliser ce rêve, malgré les obstacles et les doutes. J’ai pris un immense plaisir à mettre en images Anthony sur son bateau, tantôt à la barre comme un Tabarly ligérien, tantôt avec de l’eau jusqu’aux mollets, tirant son bateau comme un galérien !
Au moment de finaliser le film, dans un sprint final où les derniers choix de montages se faisaient en même temps que la musique grâce à une semaine de délai supplémentaire, j’ai mesuré combien la réalisation d’un film est un exercice solitaire, où l’on doit prendre seul certaines décisions. Mais aussi combien il faut être aidé et épaulé par les autres. Olivier Brumelot m’a soutenu dès le début, avec un regard pertinent et bienveillant. J’ai repensé aux très bons moments du Parcours d’auteurs de la Plateforme, pendant lequel le projet a pris forme, alimenté par le collectif d’auteurs et guidé par Olivier Daunizeau. Et aussi au jour où Anthony m’a parlé de son projet, puis accepté de le reporter d’un an pour me permettre de faire un dossier et de trouver un diffuseur et des financements. Aujourd’hui, lundi 15 juillet, le film est fini. Anthony et Daphné ne l’ont pas encore vu. Il m’ont fait confiance. Dès que pourrai récupérer le fichier vidéo, je file les voir, pour leur montrer les images de l’aventure incroyable qu’ils ont vécue !