
Entretien avec Rémi Noëll et Sullivan Le Corvic
En novembre cette web série nantaise sera diffusée sur TF1. Comment en êtes-vous arrivés là ? Quelles grandes étapes avez-vous franchi ?
SLC: Nous nous sommes rencontrés il y a quatre ans et demi avec Rémi. Lui réalisait des films et moi j’étais un grand fan de séries: on a mis en commun nos volontés de construire notre univers, de faire notre série. C’était clair dès le départ. On ne voulait pas faire un court ou un long métrage mais bien une série. Développer une intrigue sur plusieurs saisons pour avoir l’occasion d’approfondir les personnages, de les faire évoluer.
RN: Moi j’avais fait pas mal de courts métrages et en nous rencontrant quelque chose m’a frappé: une série c’est une succession de courts métrages qui permet de développer les personnages. Toutes nos discussions tournaient autour des personnages, la manière de cerner leurs personnalités…
Random est né comme ça. A la base nous étions 3 avec Thomas le Gallic qui n’a pas pu continuer. L’idée de départ était de développer des personnages « normaux » et de leur donner progressivement une profondeur, une complexité. Avoir un côté réaliste face à une situation qui, elle, ne l’est pas.
Comment vous est venue cette idée de faire une web série ? Et pourquoi choisir la forme du huis clos ?
SLC: le huis clos est né d’une contrainte financière tout simplement. On ne pouvait pas se permettre d’avoir plusieurs lieux de tournage.
RN: Cette contrainte d’argent est vite devenue une contrainte créative. On s’est retrouvés à réinventer cet espace clos, à traiter cette idée de rentrer par une porte et sortir par une fenêtre. Cette blague de Jerry Lewis est devenue le point de départ d’une mythologie, d’une intrigue plus vaste. Le huis clos, c’est le préquel des saisons 2, 3, 4. Cela nous a permis de bien creuser les personnages. Ils prennent une place d’autant plus importante que cet appartement est neutre et blanc.
SLC: Malgré tout, au fur et à mesure des épisodes, l’appartement notamment le patio devient un personnage à part entière. Les acteurs doivent jouer avec ses contraintes. On a fait des plans, on lui a donné une importance pour asseoir notre intrigue.
Comment avez-vous financé ce projet ?
SLC: On est passé par Ulule. C’était intéressant pas tellement pour l’argent que ça a rapporté… (on a reçu 2075€, ce qui fut néanmoins très utile pour payer le catering et les consommables). Ulule permet surtout d’avoir la reconnaissance d’un public qui ne sait pas encore ce que tu vas faire. C’est le début de la fan base !
On n’avait pas grand chose à montrer, on a posté un teaser après 3 semaines sur Ulule ! Bien sûr les amis et la famille ont suivi mais pas seulement… on a réussi à attirer des contributeurs en dehors du cercle amical.
Quel rôle joue la dimension collective dans votre démarche ?
SLC: On a une équipe qui nous a suivi sur 36 jours de tournage étalés sur un an et demi. On a du jongler avec les emplois du temps des acteurs, les nôtres, de ceux qui nous prêtaient l’appartement ou le matériel. Le bénévolat implique fatalement des délais. Et ce d’autant plus que dans notre cas les comédiens sont comédiens, l’assistant réalisateur l’est vraiment dans la vie, même chose pour le monteur etc. C’est tous notre métier. On a du jouer là dessus avec beaucoup de diplomatie…
RN: On a essayé d’entretenir quelque chose de familial. On avait envie de mettre à jour un projet qui fasse plaisir. Les gens n’avaient rien à perdre et rien à gagner. Ils pouvaient participer à l’aventure. On n’a pas mis un personnage plus en avant qu’un autre. On a fait le casting dans un bar autour d’une bière.
SLC: on est beaucoup dans la communication et le bien-être de chacun. Savoir comment ils vont, ce qu’ils veulent c’est primordial. On demande aux acteurs de lire les scenarii pour avoir leur point de vue. On est dans le partage. On sait qu’on est pas parfaits mais on n’a pas envie d’être des tyrans.
RN: le travail collaboratif c’est la clé. Un comédien connait son métier, idem pour un ingénieur son. On est en mesure de leur faire confiance. Ils respectent l’intention, les mots clé. Après c’est dans l’échange que cela évolue. La direction que prenait Jeanne, le personnage joué par Lola Coipeau, a été changée suite aux remarques qu’elle nous a fait. C’est un projet collectif. Il n’y a pas de grand manitou. Il y a une hiérarchie, une direction d’acteurs mais ce n’est pas figé. Le bénévolat nous a contraint à agir de cette manière. Pour la saison 2, on aura plus d’argent (en tout cas c’est bien parti !) mais on continuera sur ces rails-là.
Vous êtes vous volontairement écartés des systèmes de financement traditionnels du cinéma ?
SLC: Les web séries ne sont pas des formats qui sont reconnus. On savait très bien qu’en choisissant ce format on n’aurait pas le choix. On voulait aussi avoir une liberté de ton.
RN: On a déjà nos conseillers en interne ! On est aussi plus casaniers que la moyenne… On préfère regarder des séries entre copains plutôt que d’aller démarcher dans des soirées où le tout cinéma est là. C’est toujours difficile d’avoir de l’argent pour un projet. Il y a eu autant de web séries en 2015 que depuis 2005.
SLC: On aurait pu faire des demandes de subvention, mais cela aurait retardé le tournage. Entre temps, on aurait changé, nos envies aussi, et le projet aurait dû être réécrit.
Vous êtes en pleine écriture en ce moment, racontez –moi comment vous travaillez ?
RN: Sullivan met remet les pieds sur terre (il est diplômé de droit à la base) car il voit les choses du point du vue du spectateur. Cela devient mon fer de lance.
SLC: J’ai appris la technique et l’envers du décor avec Random.
RN: Sur l’écriture on commence par repérer les urgences…
SLC: En parallèle de l’écriture de la saison 2, on doit faire la promotion de la saison 1.
On est assez sérieux, on commence par faire l’architecture de série. On écrit des fiches «personnage », des fiches «thématique », des fiches « dramatique », des arches narratives… On fait des brainstorming pour mettre à plat les sujets que l’on veut développer par saison. Au début, on a une structure très limitée. Après, on détaille épisode par épisode. C’est vraiment une évolution.
RN: De mon côté, j’enseigne le scénario mais je n’applique pas ce que j’enseigne… C’est important de connaitre les différentes étapes. Le scénario de Random, les grandes étapes sont là mais dans le désordre !
Vous êtes combien dans l’équipe ?
SLC: Entre 19 et 21… au moins. Il y a 10 comédiens dans la première saison,
une voix off plus toute l’équipe technique qui a pris le projet à bras le corps, le compositeur, la traductrice…
Pourquoi rester en région ?
SLC: Déjà parce que la vie est bien moins chère qu’à Paris. Les tournages sont légion, c’est d’autant plus difficile d’exister professionnellement à Paris.
RN: C’est un choix assumé de rester en région, on ne veut pas griller les étapes. On est bien à Nantes, notre équipe est nantaise c’est plus simple et plus confortable pour de rester ici pour le tournage.
SLC: Pour la saison 2, on a besoin de rester dans la région.
RN: moi je suis parisien, mais je n’ai pas envie d’y retourner. L’ambiance de travail est bien moins agréable qu’ici.
Qu’est- ce qu’un outil comme celui de la Plateforme pourrait vous apporter ?
RN: cela peut être un moyen de dés-institutionnaliser la création. On a besoin des institutions pour mettre en place des œuvres, ils nous donnent les moyens de faire et c’est crucial. Malgré cet aspect, il faut faire en sorte que cela soit plus transparent, plus objectif notamment sur les comités de lecture. Faire en sorte que l’on donne une visibilité aux jeunes qui sortent des écoles.
SLC: La Plateforme, grâce au site internet, va nous donner les moyens de connaître ce qui se fait en région et d’avoir un contact privilégié avec les professionnels du secteur. Cela va nous permettre d’avoir des échanges plus simples et moins formalisés.
RN: Ce qui me paraît intéressant ça serait de monter des comités de lecture participatifs: on pourrait proposer aux inscrits sur le site de donner leur avis sur des scénarios, des pitches… On pourrait s’entraider et se tenir au courant de ce qui est en train de se faire sur la région.
Propos recueillis par Hélène Morteau.