• Quel est le parcours qui t’a menée au cinéma ?
Je suis arrivée assez tard dans le milieu du cinéma, sans passer par de grandes écoles. J’ai commencé par faire des études de sociologie et d’économie sociale et solidaire. Ce n’est qu’arrivée en master que je me suis dit qu’il était temps de faire ce que j’avais vraiment envie de faire. J’avais toujours été passionnée de cinéma, en particulier de documentaire, mais je ne me sentais pas forcément légitime. Au final, je me suis mis un coup de pression et j’ai réussi à intégrer un master de documentaire de création à la fac de Poitiers. À partir de là, je me suis un peu sentie comme une rescapée.
Ensuite, j’ai travaillé sur mon premier projet de film documentaire sur Rennes. Je ne savais pas vraiment comment m’y prendre et, grâce aux conseils d’un ami, j’ai rencontré un premier producteur, puis une autre, etc. Projet après projet, à chaque fois, c’est en expérimentant que j’apprend mon métier.
Quant à la fiction, j’y suis arrivée un peu par opportunisme, en 2015, en répondant à l’appel à projet de l’ESTRAN (Films en Bretagne). Je me suis dit : « Si je suis retenue, je ferai ma fiction et si je ne suis pas retenue, ce n’est pas grave, j’aurais essayé ! » Heureusement pour moi, j’ai été parmi les lauréat.e.s, ce qui m’a permis de réaliser mon premier court métrage de fiction À l’horizon.
• En 2017-2018, tu as participé au Parcours d’auteur·trice·s avec un projet de court métrage de fiction. Pourquoi as-tu souhaité y participer ? Qu’est-ce que t’a apporté cet accompagnement ?
J’avais tourné ce premier film en Bretagne, et ça m’avait vraiment donné envie de continuer, de m’améliorer et de continuer à raconter des histoires d’une autre manière qu’en documentaire.
J’avais l’idée, globalement, d’un film. Mais je m’obligeais à ne rien écrire, à le développer dans ma tête. Quand j’ai vu l’appel à projet de La Plateforme, je me suis dit que c’était l’occasion de le mettre sur papier et j’ai écrit le synopsis pour cet appel.
J’avais vraiment envie de consolider mon projet avant de penser à le réaliser. Sur le premier film que j’avais fait, le temps était passé très vite entre le scénario, le tournage et la post-production. Pour ce deuxième projet, je voulais prendre beaucoup plus de temps pour améliorer l’étape du scénario, ultra décisive en fiction. Le parcours d’auteur.trice.s correspondait à mes attentes, car on allait parler essentiellement d’écriture.
Durant le parcours, j’ai rencontré des réalisateur.trice.s super intéressant.e.s. On a partagé des émotions fortes, des morceaux de nous. On était super bien encadré.e.s, complètement dans notre film, mais aussi dans ceux des autres. Cette entraide, ce plaisir d’échanger, nous a fait beaucoup avancer. Puis les intervenant.e.s étaient vraiment canons. Ils nous ont permis de mieux savoir dans quoi on mettait les pieds. Je suis ressortie de là avec un projet que je sentais plus solide. Même si je n’ai pas du tout aimé faire le pitch à l’oral. Je ne sais pas si c’est toujours pareil, mais à l’époque, il fallait faire un pitch à l’oral devant plein de gens. Ce n’était pas le moment où, personnellement, j’étais le plus à l’aise.
• Depuis quand travailles-tu sur ce projet de fiction et quelles ont été les différentes phases de l’écriture du scénario ?
Il y a d’abord eu ce passage à La Plateforme. Ensuite, je suis allée le présenter à Paris au Talent Comedy Club. Ça a duré une demi-journée. De nouveau, il fallait pitcher devant un parterre de professionnel·le·s. Il y a eu plusieurs contacts, notamment avec une productrice, on a échangé plusieurs fois et il s’est avéré qu’on ne voulait pas faire le même film.
• Un corps brûlant est produit par Jabu-Jabu Production, quand et comment s’est passée la rencontre avec ta productrice ?
Je suis encore passée par un appel à films, avec le soutien de l’Eurométropole de Strasbourg. L’appel à film était proposé par une société de production qui allaient devenir les futurs producteurs du film : Jabu-Jabu Productions. À l’époque, ils s’appelaient Les Films de l’Étranger. J’étais face à des gens qui avaient cette même envie que moi de voir le film naître et qui tenaient à des choses qui étaient importantes pour moi dans le film. Celle qui est devenue ma productrice, Caroline Moreau, percevait ce que je voulais y mettre et elle m’a vraiment aidé à le préserver. Elle m’a accompagnée pendant des années. Ensemble, on a obtenu l’aide à l’écriture à la région Grand Est. Une subvention ultra précieuse qui n’existe pas chez nous. Grâce à ce premier financement, j’ai pu faire des allers retours pour des repérages puis pour un casting. Ensuite, nous avons profité de l’aide au développement Images de la diversité du CNC pour compléter la préparation avant tournage.
Puis, au moment où nous allions déposer l’aide à la production, d’un coup je me suis rendue compte que je ne croyais plus suffisamment en mon projet. Entre 2017 et 2020, forcément, j’avais évolué. Et le projet ne correspondait plus tout à fait à se que j’avais envie de voir dans un film. Par exemple, il y avait une violence et une rivalité entre filles qu’il ne m’intéressait plus du tout de raconter. J’ai tout remis en question. J’ai enlevé des séquences pivots qui étaient là depuis le début sans aucune pitié et j’en ai imaginé de nouvelles. Ça m’a libérée. Sur le coup, les producteur.trice.s ont été un peu déstabilisé·e·s par cette nouvelle version mais après deux ou trois modifications, on a rapidement trouvé une version qui nous plaisait beaucoup. À partir de là, on a eu l’aide à la production de l’Eurométropole de Strasbourg, puis celle du Grand Est et on a bouclé le budget.
• Dans quelle région s’est déroulé le tournage et pourquoi ?
Le film a été tourné à Strasbourg. À la base, je voulais que le film se déroule en hiver. Dans le froid, pour sentir encore mieux les corps qui brûlent. Je voulais jouer avec les extrêmes, qu’il y ait de la buée, de la sueur, du givre, de la neige… Imaginer ça en Bretagne, c’était assez compliqué !
Bon, au final, on n’a pas tourné en hiver. Comme dans le film, il y a des cascades (l’actrice principale fait du parkour), tourner en hiver rendait trop risqué le tournage de ces séquences. Yasmina n’aurait pas pu faire les figures que l’on avait imaginé pour son rôle avec Rey Schneider (le consultant artistique). Il a fallu faire un choix.
Et comme tout ça reste du cinéma, il était plus facile de suggérer le froid que de couper ses séquences qui étaient juste fondamentales. Après, cette contrainte m’a aussi inspirée et j’ai retravaillé mon intention initiale. Avec la complicité du chef opérateur image (Fabio Caldironi) et de l’étalonneur (Valentin Goguet-Chapuis), on a retravaillé les teintes du film. Il commence dans des tons froids de l’hiver et se termine dans des couleurs plus chaudes, plus printanières.
• Tu as un autre projet en cours en ce moment, peux-tu nous en dire un peu plus ?
À l’origine, je viens du documentaire. J’ai en ce moment un film documentaire en production qui s’appelle DesAmours. Ce titre évoque la multitude des amours qui coexistent dans nos vies et, en même temps, le désamour que l’on ressent lorsqu’on s’éloigne de quelqu’un. C’est un projet qui est produit en Bretagne par Les 48 Rugissants. Preuve que je suis toujours attachée à mon genre d’origine et à ma région d’adoption.
Côté fiction, j’écris dans mon petit coin pour l’instant… J’aime l’idée de prendre le temps, d’expérimenter sans pression, pour faire grandir au maximum le désir de film avant de le partager avec d’autres.
• Même en ayant des projets de fiction, ton attrait pour le documentaire est resté le même ?
J’aime beaucoup travailler sur des projets où la frontière entre le documentaire et la fiction est un peu poreuse. Dans Un corps brûlant, je me suis inspirée de l’actrice principale. Elle est russophone. Ça m’a plu. Je l’ai intégré à l’histoire et, dans le film, elle parle russe. Mais ça va plus loin, j’ai intégré une partie de ce qu’elle est dans le film sans même m’en apercevoir. J’ai ce besoin de documenter, que ce soit pour les personnages ou pour les lieux, de m’immerger dans une ambiance, d’y intégrer du réel. Même si j’ai aussi voulu me défaire du principe de réalité en jouant avec des ingrédients un peu abstraits. Pour moi, ce n’est pas incompatible, au contraire.
À l’inverse, dans le documentaire, je sens que la fiction me nourrit beaucoup, par rapport à la place que je peux avoir, à “comment est-ce que je peux arriver à dégager un peu mon intention” en filmant en immersion. Je sens aussi que ça m’aide à faire en sorte que les interlocuteur.rice.s acceptent mon regard, acceptent quelque part de devenir des personnages. Les deux s’enrichissent mutuellement.