Entretien avec Joachim Hérissé, Réalisateur du court-métrage «Écorchée» nominé aux César 2023
Entretien avec Joachim Hérissé, Auteur-Réalisateur du court métrage « Écorchée » qui est nominé aux Césars 2023 dans la catégorie meilleur court-métrage d’animation !
Joachim Hérissé est animateur, auteur et réalisateur de films d’animation. Autodidacte, il travaille d’abord comme animateur 3D dans les studios d’effets spéciaux et d’animation parisiens. Il réalise ensuite ses premières séries d’animation en cut-out pour Canal+ jeunesse. Passionné par l’animation des marionnettes, il se consacre à l’écriture et la réalisation d’animation en stop-motion et crée en 2015 la société Komadoli Studio.
2008 Prod. Le Regard Sonore. Diffusé sur Piwi, TV5 etc. Animation Cut-out /Festivals : Annecy, Amiens, Holland animation festival
• Un drôle d’animal— Série TV (52×3’)
2010 Prod. Le Regard Sonore. Diffusé sur Piwi / Animation Cut-out
• Bama le caïman— Court-métrage (10’)
2012 AutoProd. / Animation Cut-out
•Mr. Rugby – Pilote – Série TV (15×1’)
2014 Prod.La Boîte / Animation Volume / Lauréat de l’aide à l’écriture et de l’aide au pilote du CNC
• Ramos&Bizet – Pilote – Série TV (3’)
2017 Prod. KOMADOLI studio / Animation Volume / Avec le soutien du CNC (aide au pilote et CVS)
• Écorchée – Court-métrage (13’)
2021 Prod. KOMADOLI studio et Arte / Animation Volume / Avec la participation du CNC (FAIA, CVS et Avant réalisation) De la Région Bretagne et de la Région Pays de la Loire.
Écorchée – Synopsis
Dans une vieille bâtisse perdue au milieu des marécages, vivent deux étranges femmes, siamoises par une jambe. La nuit, l’Écorchée fait de terrifiants cauchemars où elle voit les chairs de sa sœur recouvrir son propre corps.
Pourquoi avoir choisi le métier de réalisation et plus particulièrement de réalisation de films d’animation ?
J’ai eu envie très tôt de raconter des histoires par l’image en mouvement, peut-être pour sortir des émotions impossible à exprimer par le verbe. Vers 11-12 ans, j’ai commencé à faire des films live avec le caméscope des parents. Je tournais avec ma sœur, mes cousin.e.s, mes ami.e.s. Mais nous ne terminions quasiment jamais les films et cela me frustrait énormément. Je rejetais toujours ces échecs sur le dos de mes coéquipiers. Au lycée, j’ai découvert l’outil 3D et me suis très vite passionné pour cet outil qui me permettrait, cette fois, de terminer un film (d’animation) seul ! Je n’en ai terminé aucun… mais j’ai rapidement trouvé du travail dans les studios d’effets spéciaux et d’animation parisiens et appris sur le tas un spectre assez large des métiers de l’animation.
Après plusieurs années de travail comme infographiste et animateur 3D dans les studios, j’ai eu l’opportunité d’écrire et réaliser deux séries d’animations pour canal+ jeunesse qui ont la particularité d’avoir un rendu proche des techniques d’animation traditionnelle en papier découpé.
Par la suite, las de l’outil 3D, j’ai décidé de basculer complètement dans l’animation traditionnelle en commençant l’écriture de projets en animation volume (stopmotion) marionnettes et en montant une société de production, Komadoli Studio.
Pourriez-vous nous raconter la genèse et le parcours du film « Écorchée » ?
Avec Écorchée, je voulais d’abord retrouver les sensations de peur que j’avais enfant lorsque mon frère me racontait des histoires « qui font peur » pendants nos veillées.
Je voulais également exprimer des sensations issues de cauchemars de fièvre dans lesquels, je pouvais ressentir mon corps passer d’un état creux à un état plein, de manière cyclique, encore et encore, pendant toute la nuit.
Pour figurer ces deux états de mon corps, j’ai écris ces deux personnages que sont l‘Écorchée et la Bouffie, deux sœurs siamoises reliées par une jambe.
Si l’écriture du scénario s’est faite assez naturellement, l’écriture visuelle a été plus laborieuse. Il me fallait trouver un univers assez fort pour pouvoir retrouver ces sensations issues de cauchemars. Après plusieurs essais infructueux, j’ai eu une révélation: la matière textile était le matériau idéal pour exprimer des sensations corporelles car la fibre du tissu me rappelait les fibres musculaires d’un corps écorché. En pianotant sur internet les mots clés « Textile » et « Écorché », j’ai découvert le boeuf écorché textile de l’artiste plasticienne Aline Bordereau. Son univers m’a bouleversé. J’ai pris contact avec elle et lui ai proposé une collaboration. Aline a très vite compris mes intentions qui faisaient écho à son propre travail et elle a fabriqué les marionnettes originales du film.
De 2014 à 2016, nous avons eu la chance de pouvoir financer l’écriture et le développement du film grâce au fond d’aide à l’innovation du CNC. Mais les aides à la production ont été beaucoup plus difficiles à décrocher. J’ai vécu une traversée du désert de 2017 à 2019, essuyant les refus de diffuseurs, du CNC et de régions. Puis en 2019, lors de mon arrivée sur Nantes, les planètes se sont alignées. Les régions Pays de La Loire et Bretagne, le CNC et Arte ont soutenu le projet.
Nous avons fabriqué les décors à Nantes en 2020 lors du premier confinement puis nous avons fabriqué les marionnettes stopmotion et tourné le film au studio Personne n’est parfait! à Rennes d’avril à août 2021. La post production a continué jusqu’en décembre 2021 et le film a été livré à Arte en Janvier 2022 pour une diffusion en novembre 2022.
Comment sont fabriquées les marionnettes utilisées dans le film et quel est votre processus de création ?
Les marionnettes originales d’Aline Bordereau nécessitait une véritable adaptation aux contraintes du tournage stopmotion.
Il a fallu réduire la taille de 60 cm (taille des marionnettes originales) à 30 cm (taille des marionnettes stop motion) afin d’adapter les personnages aux dimensions du décors et du plateau de tournage.
Je voulais également que les équipes ajoutent des yeux réalistes aux marionnettes là où les yeux étaient figurés par des épingles sur les marionnettes d’Aline.
Il a fallu construire des marionnettes stop motion avec des squelettes perfectionnés (armatures en rotules métalliques) ayant la solidité et la précision nécessaire pour une animation de qualité. Le quota d’un animateur étant de 4 secondes par jour, il fallait tourner avec deux animateurs et 4 plateaux (deux en tournages / deux en préparation) et donc multiplier le nombre de marionnettes (3 jeux de deux marionnettes) pour pouvoir tenir les délais de tournage.
Ces marionnettes utilisées dans le film ont été fabriquées à Rennes par une équipe qui a réussi à adapter de manière très fidèle les marionnettes textiles originales d’Aline Bordereau.
Comment travaillez-vous la matière musicale ?
Pour Écorchée, de la même façon que pour la matière des marionnettes et des décors, je voulais que la matière musicale soit une expérience physique pour le spectateur. Je souhaitais que le sound design s’approche des expériences ASMR et nourrisse l’identité textile des marionnettes.
Je voulais également que ce sound design soit intimement lié à une musique que j’envisageais mélancolique et fragile. Baroque. J’ai eu la chance de rencontrer Antoine Duchêne, un compositeur solidement ancrée dans le classique (Antoine est violoncelliste) dont la musique s’étoffe d’influences électro et qui a la particularité de travailler ses compositions en relation intime avec le travail du sound designer.
Cette richesse dans la composition faisait écho à l’identité baroque d’Écorchée. Antoine a réussi à amener la fragilité dont j’avais envie par sa composition et par une instrumentation pour le moins étonnante. Il a enregistré en studio des joueuses de Nyckelharpa, sorte de violon à clavier dont la sonorité fragile collait parfaitement avec la mélancolie et la barocité que je souhaitais.
Récemment, vous avez reçu le prix Emile-Reynaud 2022 pour « Écorchée ». Le prix a été décérné par l’AFCA lors de la Journée mondiale de l’animation. Que représente pour vous cette récompense ? À noter également, que le film est en sélection officielle aux César 2023…
Le prix Emile-Reynaud et la sélection officielle aux César 2023 ont été d’incroyables surprises. Assez inattendues car Ecorchée a toujours été clivant : enthousiasmant pour certains, trop cru et personnel pour d’autres, avec une portée universelle trop restreinte.
Ces sélections me prouvent que la portée universelle de mon film est bien réelle et me conforte dans l’idée de continuer à exprimer mes sensations et émotions intimes.
Quels sont vos futurs projets professionnels ?
Je continue donc, plus que jamais, a écrire et réaliser de nouveaux projets.
Je suis en train d’écrire un projet de série d’anthologie horrifique intitulé DOLLS qui reprend l’univers visuel et les thématiques d’Ecorchée, notamment les angoisses liées aux corps. Ce projet est soutenu au développement par le CNC et par la région Pays de la Loire.
Je suis également en train d’écrire un moyen métrage en animation marionnettes de glaise crue et de glaise cuite. Un film musical sur fond de romance noire confrontant sédentaires et nomades soutenu à l’écriture par le CNC.
J’ai également terminé le scénario d’une bande dessinée qui est en train d’être dessinée par Marion Bulot, une formidable illustratrice. La bande dessinée sera édité fin 2023 par Dargaud.
Quels films vous ont marqué et influencé votre travail ? Des références anciennes ou un film que vous auriez vu récemment…
J’aime le cinéma dans toutes ses facettes et tous ses genres mais j’ai surtout été inspiré dans mon écriture par le cinéma d’animation en volume slave et notamment par Garri Bardin ( Konflict, Adagio, Fioritures) réalisateur russe qui a su magnifier de nombreux matériaux (fil de fer, objets, glaise, papier) dans l’écriture de ses films.