Comment produire plus de films en région ? | Entretien avec Olivier Brumelot
Entretien réalisé par François Guillement, réalisateur et membre du CA de La Plateforme.
Olivier Brumelot est le Délégué à l’Antenne et aux Contenus de France 3 Pays de la Loire. Il oriente et choisit les programmes fabriqués ou co-produits par la chaîne régionale. Il est membre du Conseil d’Administration de La Plateforme.
Tu es arrivé à France 3 Pays de la Loire en 2017. Comment se sont passées ces cinq premières années ?
Mon arrivée en Pays de la Loire a coïncidé avec une grande évolution de France 3 Pays de la Loire : la chaîne est devenue direction régionale indépendante, et non plus une rédaction qui dépendait du pôle de gouvernance Nord-Ouest situé à Rennes. Cela s’est fait pour se conformer à la réforme territoriale de 2016, pour que les 13 régions françaises aient chacune leur direction indépendante.
Il a fallu lancer l’activité de production qui était auparavant gérée à Rennes. On a créé énormément de choses : une émission quotidienne le matin, des coproductions documentaires, des captations de spectacle vivant. On a développé beaucoup de programmes sur la musique, en proposant de nouvelles formes destinées aux outils numériques comme la plateforme france•tv, tout en enrichissant la grille des programmes. Par exemple le concert Les rockeurs ont du cœur a été diffusé en live sur les réseaux sociaux et fera l’objet d’un programme unitaire pour l’antenne.
Un COM est un Contrat d’Objectifs et de Moyens, généralement conclu entre 3 parties : une région, des diffuseurs locaux et régionaux et le CNC. Les diffuseurs, en échange d’un engagement de productions ciblées et négociées (magazines, courts-métrages, documentaires, captations) obtiennent une subvention de la région et du CNC. Qu’en est-il en Pays de la Loire ?
Il existe aussi des COM bipartites, entre la Région et certaines chaînes régionales sans le CNC. C’est le cas aujourd’hui avec France 3 Pays de la Loire. Nous avons un COM avec la Région qui a permis de financer l’émission culturelle Artotech, et des captations de spectacle vivant. Comme nous, la plupart des télévisions locales en ont avec la Région. C’est le cas pour TLC à Cholet, Télénantes, viàAngers, LMtvSarthe et TV Vendée.
Quand je suis arrivé, le COM qui liait France 3 à la Région était de 300.000 € par an (900.000 € sur 3 ans). Il a été renouvelé en 2018-2020 à 250.000 € par an (750.000 sur 3 ans) Et puis en 2021, il a été renouvelé pour un an.
Quand le CNC est partenaire d’un COM audiovisuel régional, il contribue à hauteur de 1 pour 3 : quand la Région met 3 €, le CNC met 1 €, son niveau de contribution étant plafonné à 100.000 € par an. Les COM bipartites actuels permettent de faire des choses, mais ils ne concernent pas à l’heure où nous parlons les courts-métrages ou les documentaires.
Le budget étant morcelé, ils n’ont pas l’effet de levier que peut avoir un COM tripartite avec tous les acteurs réunis.
En France aujourd’hui, 6 régions ont des COM ambitieux notamment les régions Grand Est, Nouvelle Aquitaine, Bretagne, Centre Val de Loire. Quel est l’apport concret pour leurs filières régionales ?
Je reviens d’une table ronde à Strasbourg sur le financement du documentaire de création. Le COM avec le RTGE (Réseau des Télévisions du Grand Est) est devenu un outil de structuration qui paraît indispensable à l’ensemble de la filière régionale.
J’ai l’habitude de dire que le COM est un ruissellement qui marche ! Un COM n’est pas fait pour financer ce qui existe déjà, mais offre l’opportunité de produire plus de programmes. C’est donc un formidable appel d’air pour toute la filière en augmentant le nombre de films produits sur le territoire, et aussi leur visibilité.
Un COM permet aux chaînes locales de mobiliser, en plus d’éventuels apports en industrie, l’apport numéraire minimum exigé par le CNC pour co-produire un film : 10.400 € pour un 52 minutes. Elles peuvent alors devenir coproductrices et déclencher des aides du CNC pour des films qui n’existeraient pas sans cela. Cela fait plus d’acteur.ices sur le champ documentaire.
Aujourd’hui je suis le seul diffuseur régional pour les documentaires de création. J’ai le droit de vie ou de mort sur les projets locaux. C’est terrible. Pour la quantité et aussi surtout pour la diversité. Même si on se défend de tout formatage, on a quand même une ligne éditoriale et on refuse des films qui pourraient trouver leur place sur des chaînes locales ! France 3 n’est pas concurrente de ces chaînes sur les programmes culturels. Nous pouvons créer une synergie.
En Bretagne, en 2019, le COM a permis d’aider 60 projets pour un montant total de 831.000 euros, dont une vingtaine de documentaires et une dizaine de courts métrages. Cela fait envie ! Pourquoi cela n’existe pas en Pays de la Loire ?
Nous étions en phase de discussion avec l’ensemble des télévisions locales au moment où Télénantes a changé de modèle en devenant avant tout une chaîne d’info. Cela a bouleversé la situation car ils ont arrêté de faire des co-productions. Or la participation de chaînes locales est une condition obligatoire à l’engagement du CNC. France 3 ne peut pas être seule pour porter le contrat.
En Bretagne, il y a TVR 35, TébéO et TébéSud ainsi que France 3 Bretagne, Brezhoweb et Breizh Créative. En Centre Val de Loire, il y a France 3 Centre-Val de Loire, Bip TV et TV Tours.
En France actuellement les chaînes locales évoluent sans avoir beaucoup de visibilité. En région Grand Est, la chaîne Alsace 20 vient d’être rachetée par BFM. Ils vont honorer les engagements en cours mais ils vont arrêter de produire des documentaires à terme.
Les chaînes locales en Pays de la Loire n’ont pas des budgets extensibles, mais un COM tripartite apporterait à tout le monde.
Pour l’instant, c’est en suspens, mais cela peut être activé à tout moment
En Bretagne, les objectifs du COM sont culturels mais aussi économiques. Il est noté qu’il doit « soutenir le développement de la filière audiovisuelle régionale dans ses dimensions artistiques, culturelles, économiques, contribuer au rayonnement du territoire et de ses acteurs » Cela devrait intéresser les politiques ? Quelles seraient les conditions pour qu’un COM puisse voir le jour en Pays de la Loire ?
Il faudrait réunir les télévisions locales. Il faudrait qu’elles se saisissent du rôle qu’elles ont à jouer au sein de la filière cinéma et audiovisuelle, pour renforcer l’existence d’œuvres culturelles locales. Il faudrait globalement que l’ensemble de la filière y voit l’intérêt pour notre région et veuille s’en saisir. Il faut aussi que les élus aient envie d’enclencher cette dynamique. Il faut aller au-delà de la communication et vouloir développer la dimension culturelle en termes de création et de diffusion.
Certaines chaînes locales seraient partantes. Au Mans, LMtvSarthe est intéressée par le documentaire et la captation. L’émergence de la Cité du film rend le département très dynamique.
Il faut préciser qu’il faut un organisme indépendant pour gérer l’exécution d’un Contrat d’Objectif et de Moyens. La Région qui finance ne peut pas le faire seule. En Bretagne, la gestion du COM est faite par Film en Bretagne, et en Centre val de Loire c’est CICLIC. Il faudrait que la Région délègue cette gestion à une structure associative indépendante, ou à une agence culturelle.
Un futur COM pourrait aussi être l’occasion de nouvelles réflexions sur les formes d’écritures. Peut-être que les supports numériques comme les plateformes de visionnage ou d’autres moyens de diffuser les œuvres seront au centre des prochaines discussions. Je regarde de près les plateformes gratuites comme KUB en Bretagne, et NOOZY en Grand Est.
Il y a quelque chose à faire en Pays de la Loire.