À l’initiative du Bureau des techniciens, Laurent Blois, délégué général du SPIAC- CGT (Syndicat des Professionnels de l’Industrie de l’Audiovisuel et du Cinéma), était l’invité le 20 septembre 2018 de la Rentrée de La Plateforme, pour un échange autour des conventions collectives et des pratiques professionnelles concernant l’intermittence et l’auto-entreprenariat.
Beaucoup de jeunes se lancent dans notre secteur comme auto-entrepreneurs, en ont-ils le droit ?
LB : En droit français, il y a une notion importante à saisir, c’est celle du lien de subordination. Je vais prendre un exemple : je fais venir quelqu’un chez moi pour s’occuper de mon jardin, cette personne ne devra pas être auto-entrepreneur, parce que c’est moi qui en tant qu’employeur, vais lui dire ce qu’il doit faire, ce qu’il doit planter ou arracher ; et c’est moi qui vais également choisir le jour où il doit intervenir et le temps qu’il devra y passer. Si par contre j’appelle une personne pour déboucher mon lavabo, là, je suis son client : je ne vais pas m’occuper de comment il fait la réparation ni du temps qu’il y passe. Il va me dire quand il peut intervenir et combien ça me coûtera. Là, j’ai un lien commercial, je suis son client et lui va gérer sa petite entreprise comme il le souhaite.
Dans notre secteur c’est pareil : une monteuse travaille sous les directives d’un réalisateur ; un cadreur qui capte pour un film institutionnel est dirigé par un réalisateur ; un technicien qui fait des effets spéciaux est aussi dirigé par un réalisateur. La monteuse ne décide pas seule de monter tel ou tel film, elle est au service d’une production qui a embauché un réalisateur qui dirige l’équipe. Donc dans ces cas-là, il y a un lien de subordination. Sauf si on fait tout tout seul, auquel cas on va considérer qu’il n’y a pas de liens de subordination.
Autre exemple : je suis producteur, je vends du film institutionnel à des boîtes privées… En tant que producteur, je ne peux pas recourir à des auto-entrepreneurs. Les techniciens qui vont travailler sur ces films institutionnels devront être salariés. Là où il y a le plus d’abus du recours à l’auto-entrepreneur, c’est dans la prestation technique. Ceux qui acceptent d’être auto-entrepreneurs, alors qu’il y a un lien de subordination et qu’ils ne sont pas responsables de la production du film, il faut juste leur rappeler que tous les systèmes de protection sociale sont construits sur des cotisations. L’auto-entreprenariat, c’est très peu de cotisations sociales (et donc une moindre protection). Du coup forcément tu coûtes moins cher que tes petits camarades qui eux sont salariés. Mais tant qu’il y a un tiers qui te demande de travailler sur un film et que tu n’as pas la responsabilité de la production du film, tu ne peux légalement pas être auto-entrepreneur.
En France, il y a des règles : certains les respectent, et d’autres non. Notre responsabilité de syndicat est de négocier des accords les plus favorables aux salariés. C’est notre responsabilité. Votre responsabilité à vous les techniciens, et sans culpabiliser personne, c’est de sortir du silence. Appelez-nous pour nous dire que telle boîte de production ne respecte pas la convention collective ou recourt abusivement à l’auto-entreprenariat. Votre responsabilité en tant que salarié, c’est de faire remonter l’information pour qu’on agisse ensuite auprès des syndicats de producteurs. Bien entendu, on agira en toute discrétion sans citer nos sources.
Jusqu’à quand l’annexe 3 (production cinéma) avec ses 2 niveaux de salaire (dont un dérogatoire en fonction du coût du film) s’applique ?
LB : Lorsqu’on a négocié cette annexe 3 durant 7 ans, on s’est interrogé sur la manière de couvrir conventionnellement à la fois des salariés qui travaillent sur des films à moins de 3 millions d’euros et ceux qui bossent sur des films à 10 ou 100 millions d’euros. C’est pour tenter de répondre à cette problématique qu’on a fait le choix d’un dispositif transitoire pour 5 ans pour les films à moins de 3,6 millions. Cela représente 40 films par an. On a fait ce choix parce que 40 films c’est du volume d’emploi, plus des enjeux de création cinématographique. On s’est mis dans cette situation dérogatoire aussi parce qu’un certain nombre de technicien.nes acceptaient de travailler à moins 20 ou 30% des salaires minima ; c’était une pratique très répandue chez les techniciens qui disaient : ces films-là on veut pouvoir continuer à les faire. On est obligé d’écrire une norme sinon on peut plus faire ces films, ça devient illégal. Donc pour ces films à moins de 3,6 millions, les salariés sont moins payés mais sont intéressés au résultat du film. Bon, dans les faits, on en est loin : ces films partent souvent avec de tels handicaps qu’ils ne trouvent pas leur public, ils sont mal exposés, et rares sont ceux qui génèrent suffisamment de recettes pour qu’elles soient reversées aux technicien-nes.
Certains affirment aujourd’hui que l’annexe va tomber à la fin de l’année. C’est faux. Le dernier arrêté d’extension – c’est à dire le moment où le Ministère du travail a étendu cette annexe qui est donc devenue la norme obligatoire dans le secteur – date de 2015, donc l’annexe tombera en avril 2020.
En 2020, qu’est-ce qu’on fera, nous au SPIAC ? Il est trop tôt pour le dire. On débat au sein du syndicat : il y a ceux qui pensent qu’il faut reconduire l’accord parce qu’on n’a pas résolu les problèmes de financements du film. Il faut savoir que les modes de financement aujourd’hui sont encore pires qu’en 2012. Canal+ prend l’eau (ce sont des moyens en moins quand on sait que le système français du financement du film est assis à 70% sur les financements de Canal+). Ceux-là s’interrogent : est-ce qu’on prend le risque que 40 films ne soient plus mis en production ?
Le risque est grand, en outre que les producteurs dénoncent l’ensemble de la Convention collective si on ne reconduit pas l’annexe ; auquel cas, la norme des salaires dans le cinéma ce serait l’application du Code du travail.
Une chose est sûre : il y a un truc dont on ne veut plus, ce sont les films à moins de 1 million. Même si c’est compliqué parce qu’on est au croisement de l’artistique et des problématiques sociales. Par exemple, dans le documentaire, des techniciens nous disent « on veut accompagner ce réalisateur, on aime son travail… ». On entend ça très bien mais, mais que fait-on des problématiques sociales ? L’assurance chômage est de plus en plus contraignante. Il y a une réforme à venir qui va durcir encore les règles d’indemnisation…
La réalité du secteur, c’est que les professionnels ont de plus en plus de mal à faire appliquer les salaires minima ou les heures supplémentaires. Quelle est leur marge de manœuvre ?
LB : Mettez-vous à la place du producteur. Pourquoi je vais « m’emmerder » à payer des heures supplémentaires si je sais que si je ne les paie pas, les gens les feront de toute façon.
Dans la post-production, il y a un gros conflit sur le paiement des heures supplémentaires. En régie, c’est pareil. C’est un problème récurrent. Ça durera aussi longtemps que vous accepterez que ça dure.
Je ne dis pas que c’est facile, mais sur les heures sup, faites remonter les infos. Travailler 70 heures par semaine, ça contrevient à la convention collective ET au droit du travail. Si l’un d’entre vous a un accident, le producteur se retrouve en prison ! Il faut savoir que la charge de la preuve est inversée en matière d’heures supplémentaires. Notez vos heures, c’est à l’employeur de prouver que vous ne les avez pas faites. Je sais qu’il existe des productions qui font signer des relevés d’heures non conformes à la réalité. Nous nous sommes battus syndicalement pour qu’il y ait la feuille d’heures sur le tournage ; refusez de la signer si on vous demande de signer un document qui n’est pas conforme aux heures réellement effectuées. C’est partout le même discours : il faut réduire le coût du travail, travailler plus pour gagner moins. La solution c’est, y compris en région, de vous constituer en réseau, de vous organiser, de vous syndiquer ici ou ailleurs. Il faut créer des noyaux de gens qui vont s’informer entre eux de telle ou telle pratique pour dénoncer les mauvais coucheurs : telle boîte qui abuse des stagiaires par exemple. Sortez de la loi du silence. La régie, la post-production… il faut lancer une action qui serait : « je travaille pour ce que tu me paies. La 9e heure, tu paies plus, alors j’arrête. »
Je peux vous assurer que nous avons débloqué des situations en prenant notre téléphone, en restant courtois, en rappelant les termes de la loi à un producteur défaillant et ça a été réglé. Sur le fond, on ne s’en sortira pas si on accepte ça ; si on dit « la régie c’est comme ça ». Pareil pour la post-prod : depuis des années les monteurs se font payer 8h quand ils en font 12. Non, il faut refuser. Encore une fois, ce n’est pas c’est facile de défendre son bout de gras, mais si on crée des solidarités entre salariés, on peut casser ça.
L’arme atomique, c’est quoi : un inspecteur du travail sur le terrain c’est difficile, il y en a de moins en moins. Ce qui marche assez bien, ce sont les inspecteurs URSSAF, parce que les heures supplémentaires non payées, ça fait des recettes en moins pour l’URSSAF qui récupère plus de pognons sur 12h que sur 8h. Donc quand on menace les productions d’un contrôle URSSAF, ça leur fait peur. En tout cas, faites remonter l’info. Parfois une lettre recommandée suffit à rappeler à l’ordre une production peu scrupuleuse.
La Convention Collective cinéma doit-elle s’appliquer au court métrage ?
LB : Souvent, on commence par du court et on fera du long ensuite, donc c’est bien que les gens s’habituent à des règles parce que tôt ou tard ils seront amenés à s’y confronter.
Il y a eu un temps où le CNC finançait sans s’intéresser aux règles du Code du travail. Aujourd’hui, dans ce pays, pour bénéficier d’argent public, il y a obligation de respecter la norme sociale (dans le cinéma ou ailleurs). Nous, on a un discours qui consiste à dire : si des gens font un film dans leur jardin entre copains, ça ne nous regarde pas. Mais quand il y a des aides publiques ou parapubliques, on souhaite qu’a minima la norme sociale soit respectée, c’est à dire le Code du travail : le SMIC et les majorations pour heures supplémentaires et la limitation sur le temps de travail hebdomadaire. Cette position a eu pour conséquence qu’on a eu contre nous, au départ, les boites de prod, la société des réalisateurs de films et le CNC, qui ne comprenaient pas notre démarche. Finalement nous avons obtenu que le CNC finance moins de courts métrages, mais les financent mieux.
Quelle est votre position sur le salaire minimum des réalisateurs ?
LB : Je le dis crûment, mais à mon sens, ce n’est pas à Pôle emploi de financer le documentaire dans ce pays. Ce qui se passe encore trop souvent pour les réalisateurs de documentaires, c’est « je te déclare 507 heures, même si tu travailles plus que ça, au moins tu ouvriras des droits à Pôle emploi ». C’est dangereux parce que, ce faisant, on n’est plus dans de l’économie réelle. Si on prend l’économie du documentaire : pourquoi les chaines vont payer le coût réel du documentaire puisqu’elles peuvent en avoir sans débourser ce que ça coûte réellement. Et ceux à qui ça profite, c’est pas le petit producteur qui tire la langue tout autant que son réalisateur, ça profite aux chaines, à ceux qui passent ces programmes qu’ils auront eu à un prix très éloigné du coût réel.
Donc oui il faut se battre pour l’existence d’un salaire minimum pour les réalisateurs. Et qu’on ne me parle pas des droits d’auteur : ça ne rémunère pas la même chose, c’est pas l’un sans l’autre.
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