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Nantes a accueilli entre le 4 et le 9 juillet dernier l’évènement « Bains Argentiques ». À l’initiative de l’association de cinéma expérimental Mire, des collectifs des 4 coins du monde se sont réunis pour échanger sur l’existant et l’avenir des laboratoires argentique indépendants. Focus sur l’une des nombreuses tables rondes de la semaine : « L’argentique à l’ère du numérique ».
Nantes, jeudi 7 juillet 2016. Place Jean Macé, la Fabrique Chantenay (ancien Olympic-Cinéma) retrouve de sa superbe cinématographique le temps d’une semaine dédiée à l’image en mouvement. Les Rencontres Internationales des Laboratoires Cinématographiques d’Artistes battent leur plein depuis plusieurs jours et la Fabrique Chantenay est le QG des quelques 150 participants.
Autour de la table cet après midi- là, 5 intervenants: Richard Tuohy (modérateur de la discussion, cinéaste, Nanolab), Nicolas Rey (cinéaste, membre de Labominable), Katia Rossini (activiste à l’initiative notamment du Cinéma Nova et de Kino Climates), Kim Knowles (programmatrice, chercheuse, membre du collectif BEEF) et enfin Adriana Vila (cinéaste, activiste, Craterlab). La parole circule librement dans la salle et on comprend vite qu’il y a une obsession (et peut-être même une cause) commune : la survie du cinéma argentique. Le ton est donné.
Qui sommes-nous ? Comment définir notre activité ? De quelle nature sont les enjeux auxquels nous faisons face ? Esthétiques ? Politiques ? Quels soutiens trouver pour conserver la maîtrise de nos moyens de production ? Comment faciliter la circulation des films ?
Ces dernières années, sous le coup de la désaffection de l’industrie cinématographique pour le format argentique, nombre de laboratoires commerciaux ont mis la clef sous la porte et une très grande majorité de salles de cinéma, sous l’effet de la généralisation du format de diffusion DCP, se sont débarrassées de leur matériel de projection 35mm et 16mm. Ce fut une véritable aubaine pour les collectifs artistiques à même de récupérer et de réemployer des équipements techniques jusqu’alors inaccessibles. C’est également un facteur important dans le développement récent et croissant des laboratoires indépendants de part le monde.
Dans le même temps, le spectre glaçant de la raréfaction du format argentique allait grandissant. La menace de l’arrêt complet de la production industrialisée de pellicules devenait concret avec la disparition de certaines émulsions des chaînes de fabrication. Dans l’histoire des arts de la représentation, avait-on déjà vu pareille absurdité ? L’invention de la photographie au 19ème siècle avait-elle menacé directement d’extinction les arts picturaux et sonné le glas d’un médium artistique largement répandu ?
Pour le réseau des labos, la problématique n’est pas de s’opposer à l’essor des technologies numériques dans le domaine de l’image en mouvement (certains artistes présents avouent apprécier d’avoir aujourd’hui le choix de travailler sur les deux formats), mais plus simplement d’ériger des remparts contre les plans hégémoniques de l’industrie digitale, d’oeuvrer en faveur de la co-existence de ces formats, aussi bien du point de vue de la fabrication que de celui de la diffusion des œuvres. Il ne s’agit pas de conserver un paradis perdu, mais bien au contraire d’affirmer une pratique artistique vivante et de construire les bases de son autonomie esthétique, politique et économique. Qu’il soit expérimental, de fiction ou bien documentaire, le cinéma sur support argentique est un médium d’expression à part entière pour des cinéastes émergents et confirmés. L’accessibilité et les supposés « moindres coûts » de production de l’image numérique sont les arguments majeurs de l’industrie cinématographique aujourd’hui. Mais ils ne peuvent à eux seuls faire barrage à des questionnements artistiques et ne doivent pas avoir pour effet de marginaliser cette pratique historique et contemporaine du cinéma.
Un laboratoire est le plus souvent géré collectivement par des artistes et cinéastes désireux de s’approprier des moyens de création sur support argentique. C’est une communauté de pratique – et parfois d’esthétique – régie par des valeurs de partage de connaissance et d’outils, d’ouverture et d’accessibilité. Il ne propose pas de services mais une appartenance, un engagement possible. C’est un outil d’expression sensible, organiquement constitué d’hommes et de femmes plus ou moins conscients d’être en lutte contre l’obsolescence programmée d’une technologie par l’industrie et ses logiques marchandes. Son activité non-commerciale est également tournée vers la diffusion d’oeuvres de cinéma actuelles et indépendantes. Et c’est en partie grâce à cette ouverture vers le monde extérieur et l’éducation du public que de nouveaux alliés pourront être trouvés.
Maintenir la capacité des salles, des ciné-clubs, des festivals et autres musées à diffuser les films en pellicule ainsi que développer les réseaux de distribution sont des enjeux cruciaux pour la circulation des oeuvres. Il y a aussi nécessité à sensibiliser les acteurs de la filière cinématographique dans son ensemble aux spécificités du cinéma argentique, à son éclat inimitable et à son intérêt pédagogique par exemple. L’idée selon laquelle il ne sert à plus rien de « s’initier » à la pellicule parce que c’est un support révolu est à bannir. Pour les cinéastes de demain, c’est tout un lot de savoir-faire « différents » à acquérir, synonymes de recherche, d’inventivité et d’un autre rapport à la matière filmée.
Déjà des maisons de production, des réseaux de distribution, des écoles d’art et de cinéma, des centres d’art et d’archives permettent d’éviter l’effet de niche et à ce réseau de se fortifier et de s’étendre en multipliant les collaborations avec le réseau des labos, à petite ou grande échelle. Bains Argentiques a tendu la main, nul doute que d’autres acteurs rejoindront les rangs.
Vincent Pouplard
POUR EN SAVOIR PLUS :
http://www.re-mi.eu/wiki/bainsargentiques/bainsargentiques