ZOOM SUR – « Saisonnières » de Isabelle Mandin

La réalisatrice Isabelle Mandin vient de terminer son film documentaire Saisonnières. Il sera diffusé sur France TV à l’automne et en avant-première au Cinéma Manivel à Redon (35) le 29 avril. Un projet avec lequel elle avait participé au Parcours d’Auteur·rice·s – formation à l’écriture filmique de la Plateforme en 2020. L’occasion de prendre quelques nouvelles ! 

Pourquoi avoir choisi le métier de réalisatrice et quel est ton parcours professionnel ?

Avant de réaliser des films, je travaillais comme animatrice dans un centre socio-culturel rural. J’accompagnais des adultes et des adolescent·es dans des projets collectifs qui leur tenaient à coeur. Comme tout·e professionnel·le du social, je passais des heures à compléter des tableurs censés rendre compte du vécu des personnes auprès des institutions. Ce temps administratif ne cessait d’augmenter, m’éloignait du terrain et ne traduisait que très partiellement la réalité des habitant·es. J’ai commencé à filmer les adhérent·es du centre pour qu’ils et elles puissent rendre compte directement de leurs expériences et ressentis. Je me suis aperçue dès les premières projections, que le temps du film, tout le monde s’arrêtait pour les écouter et qu’un débat s’engageait ensuite. C’est pour ça que la caméra est progressivement devenu mon outil de travail de prédilection, pour donner la parole aux personnes moins visibles et audibles. J’ai appris à filmer seule et ai monté mes premiers films grâce aux logiciels libres du club informatique. J’ai adoré ça.

En 2012, j’ai quitté mon travail, suis partie en formation de prises de vues au Cifap à Montreuil et ai tourné mes premiers portraits documentaires intitulés Retour à la terre. Des formats courts consacrés aux agricultrices et paysannes. A cette période, j’étais aussi investie dans le collectif Espho qui organisait la Petite Biennale Photographique à Blain. Pendant plusieurs éditions, on a exposé et accueilli des grands noms de la photographie contemporaine comme Claudine Doury, Mat Jacob, Jérôme Brézillon, Alisa Resnik… toutes ces rencontres et plusieurs passages aux rencontres photographiques d’Arles ont clairement contribué à aiguiser mon regard. C’est à cette période que j’ai rencontré la réalisatrice Tesslye Lopez.

 

Ensemble, on a commencé par tourner des teasers pour le spectacle vivant et des cartes blanches documentaires pour des associations sociales, culturelles ou agricoles. On a eu la chance d’être accompagnées par les films Hector Nestor. Une asso composée de femmes travaillant dans le social et qui défendent une démarche de documentaire d’intervention sociale. C’est grâce à elles, qu’on a pu développer nos deux films Habitantes et Croquantes sur le long cours. L’association s’est aussi donné les moyens de diffuser largement ces films. Croquantes a sillonné tous les départements de la métropole avec plus de 250 projections débats à ce jour. Il a aussi été sélectionné aux Estivales de Premiers Plans à Angers, au Festival Alimenterre en Belgique avant d’être diffusé sur France 3 Pays de la Loire en 2024.

 

En parallèle de notre duo de réalisation, j’ai collaboré avec plusieurs artistes du spectacle vivant et du théâtre contemporain. J’ai notamment signé la création vidéo de la pièce de l’autrice et metteuse en scène Anaïs Allais, Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été. De cette expérience, j’ai tiré un film court intitulé Ya Hesra, qui a été sélectionné au Festival de Douarnenez en 2019. Sur mon dernier film Saisonnières, j’ai travaillé avec l’auteur et metteur en scène Hervé Guilloteau. Ces collaborations théâtrales avec des auteur·es et dramaturges, m’ont notamment permis de penser différemment l’écriture de mes films.  

 

Quelles sont tes principales influences artistiques ou cinématographiques ?

Mes premières influences sont clairement photographiques. J’aime les plans larges fixes et les compositions dépouillées. Des plans qui prennent le temps et qui laissent la place aux personnages d’être ce qu’ils ou elles souhaitent. En ce sens, j’aime les documentaires d’Hassen Ferhani Dans ma tête un rond-point et 143 rue du désert ; ceux de Raymond Depardon ou ceux du maître Frederick Wiseman. Mais j’aime aussi me plonger dans des films d’auteur·es très personnels comme Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais, Chiami è rispondi d’Axel Salvatori ou plus récemment Maman déchire d’Emilie Brisavoine. Quand j’écris ou quand je tourne, j’écoute beaucoup de musique. Cela peut aller de Nick Cave à Rosalia, en passant par Sofiane Saidi ou Shannon Wright. Par contre, quand j’ai un film en tête, je suis incapable de me plonger dans un roman, je privilégie plutôt les bandes dessinées ou les romans graphiques comme ceux de Miroslav Sekulic-Struja, Emil Ferris ou Chris Ware.

 

Peux-tu nous raconter la genèse et le parcours de ton film?

Comme pour beaucoup de femmes, l’appel d’air de Me Too a été un véritable point de bascule. Enfin, j’entendais des récits qui correspondait à mon vécu et à ceux de beaucoup de mes ami·es. Je voyais des films qui proposaient une autre image des femmes, plus subtile, nuancée. Ces dernières années, des réalisatrices comme Chloé Zhao, Claire Simon, Céline Sciamma, Léa Fehner, Hafsia Herzi, Sofia Djama, Léonor Serraille, Laetitia Carton ou Alice Diop m’ont donné de belles leçons de cinéma et l’envie d’aller à mon tour visiter ma petite histoire.

J’ai réalisé que je ne savais presque rien de la vie des femmes de ma famille alors je me suis lancée dans une enquête personnelle qui m’a fait revenir à Lourdes, ville dont est originaire ma famille maternelle. J’ai arpenté les rues et fouillé les archives en quête d’indices qui pourraient éclairer les parts d’ombres de mes aïeules. J’ai trouvé un hôtel abandonné, quelques photos et de rares anecdotes mais j’ai surtout eu l’occasion de rencontrer de nombreux·euses inconnu·es qui ont tenté de m’aider dans mes recherches. Chacun·e m’a raconté un peu de sa vie, son rapport à cette ville si particulière et cela m’a permis, en quelque sorte, de renouer avec ma propre histoire.

 

Il y a eu beaucoup de générosité dans l’accueil qui m’a été fait. C’est d’ailleurs une des caractéristiques de cette ville. Pourtant, de l’extérieur, on en a une image souvent négative liée au commerce  religieux. Car comme ma famille, les lourdais·es vivent essentiellement du tourisme religieux. Dans les films de fiction ou les documentaires sur Lourdes, il est rarement question de ces personnes qui font tourner la ville. D’ailleurs par peur des moqueries, les lourdais·es préfèrent souvent se taire. C’est ce qui m’a donné envie de filmer l’envers du décor.

 

Ce film a été long à éclore. Il a pris plusieurs chemins. Au départ très personnel, il s’est progressivement ouvert sur d’autres personnages et d’autres vécus. Moins axé sur le passé pour laisser plus de place aux contemporains. J’ai tourné sur deux saisons estivales en 2023 et 2024 mais j’ai réellement commencé à travailler sur ce projet en 2020 avec mon entrée au Parcours d’Auteurs.

 

Tu as bénéficié de la formation Parcours d’Auteur·trice·s proposée par Le Pôle cinéma audiovisuel des Pays de la Loire – La Plateforme. Qu’est-ce que cet accompagnement dans l’écriture filmique t‘a apporté ?

 

Je n’avais jamais suivi de formation dédiée à l’écriture documentaire. J’avançais de manière très empirique, à l’intuition et me suis parfois retrouvée piégée au montage par manque d’écriture en amont du tournage. Grâce au Parcours j’ai donc appris le B.a-B.a de l’écriture filmique, appris à faire une note d’intention et de réalisation dignes de ce nom. Mais ce qui a été le plus riche sans aucun doute c’est la dynamique de notre petit groupe accompagné par Anna Feillou. Dans une précieuse bienveillance et une véritable implication de chacun·e, nous avons détricoté tour à tour nos envies et idées de films. Je crois n’avoir jamais autant écrit que pendant ces 6 mois du Parcours. C’était par moment assez usant mais j’ai gagné en aisance et quand il a fallu se plonger dans le dossier de développement puis de production de mon film, j’étais beaucoup plus à l’aise.

 

Une rencontre, une anecdote qui t’a particulièrement marquée pendant ces 6 mois d’accompagnement? 

 La première semaine de résidence passée à l’île d’Yeu avec Laetitia Carton, la master-class de Guillaume Brac, le premier confinement qui a bousculé tout le programme, le coaching de Caroline Ferrus pour nos séances de pitch et l’humour d’Alexis Bessin qui nous a valu quelques bons fous rires collectifs.

 

En quoi cette expérience a-t-elle fait évoluer ton écriture ou ton regard de réalisatrice ? 

Elle a assurément fait évoluer mon rapport à l’écriture comme je le disais précédemment mais le Parcours d’Auteur·e m’a surtout permis de gagner en confiance. Je n’avais aucun point de référence théorique avant cette résidence au long cours. J’avais donc parfois le sentiment d’imposture lié aux parcours autodidactes. J’ai réalisé que mon expérience de terrain avait une véritable valeur et qu’en y associant de la théorie filmique je pouvais me permettre de développer de nouveaux films, de manière plus solide et confortable. Les séances autour de l’écosystème de production et de diffusion des films m’ont aussi aidée dans les échanges avec les structures de production qui m’accompagnent aujourd’hui.

 

Vous êtes adhérente de La Plateforme. Qu’est-ce que cette association représente pour toi et que t’apporte-t-elle concrètement en tant qu’autrice-réalisatrice ? 

Ce qu’elle représente c’est le collectif, la solidarité, l’échange entre pairs. Ce qu’elle m’apporte : des ressources, un accès aux infos du secteur, l’actualité des réalisateur·ices et technicien·nes du territoire dont j’apprécie le travail. J’aimerais participer au bureau des auteur·es pour prolonger l’expérience du Parcours mais n’habitant pas à Nantes, c’est vraiment compliqué de me rendre disponible sur ces moments. Pour vivre de ce métier, il est nécessaire de mener de front et simultanément plusieurs projets. C’est passionnant mais aussi chronophage, cela nécessite donc de faire des choix sur ses engagements.


Des envies, des projets professionnels pour la suite ?

Cette année, avec Tesslye Lopez, nous sommes accueillies en résidence par la commune de Trignac pour y développer une nouvelle forme documentaire in situ. Nous travaillons aussi sur un nouveau film intitulé Faire tomber le quatrième mur. Et puis, nous réalisons une carte blanche à la demande du Planning Familial à Angers. Tous ces projets documentaires ont en commun de mettre en lumière des personnes habituellement peu visibles, des jeunes femmes vivant dans des quartiers populaires et des professionnel·les du spectacle en situation de handicap. Chaque film est pour moi, l’occasion rêvée de rencontrer de nouvelles personnes, de grandir un peu et de mettre à mal quelques-uns de mes a priori. Tous ces projets subissent actuellement des baisses de financements publics qui mettent malheureusement en péril leur réalisation dans des conditions correctes pour l’ensemble de l’équipe.

 

Dans les semaines à venir, je vais accompagner la sortie de mon film Saisonnières qui sera en avant-première au Ciné Manivel à Redon le 29 avril prochain. Enfin, je suis l’heureuse cheffe opératrice bénévole sur le premier court-métrage documentaire de mon fils. C’est l’histoire d’un taureau superstar, troisième plus grand géniteur mondial de Prim’Holstein et symbole en quelque sorte de son époque. Jocko a son crâne entreposé au Muséum d’histoire naturelle de Paris et sa statue sur un rond-point tout près de chez nous.

Biographie

Isabelle Mandin écrit, filme et monte des images documentaires. Ses films s’intéressent essentiellement à la place des femmes sur leur territoire de vie. En 2019, son film court Ya Hesra est sélectionné au festival de cinéma de Douarnenez. En 2021, sort en salle Habitantes qu’elle co-réalise avec Tesslye Lopez puis Croquantes, deux moyens métrages produits par les films Hector Nestor. Croquantes a bénéficié d’une diffusion nationale de projections, a été sélectionné aux Estivales du festival Premiers Plans à Angers, au festival Alimenterre en Belgique avant d’être diffusé sur France3 Pays de la Loire en 2024.

En avril 2025, sort Saisonnières, nouveau documentaire qui est accompagné par Emmanuelle Jacq de Mille et Une Films et co-produit par France 3 Occitanie. Ce projet est lauréat du Parcours d’Auteurs du Pôle Cinéma des Pays de la Loire et bénéficie du soutien des régions Bretagne, Pays de la Loire, du CNC et de la Procirep Angoa. 

Elle collabore régulièrement avec le spectacle vivant et le théâtre contemporain. Elle a signé la création vidéo du spectacle Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été de l’autrice et metteuse en scène Anaïs Allais. Ce spectacle a notamment été joué au Théâtre National de la Colline et au ZEF à Marseille. Pour la metteuse en scène Elise Vigier et le CDN de Caen, elle co-réalise avec Anaïs Allais un format court intitulé A regarder les poissons. Cette création accompagne la diffusion du spectacle Anaïs Nin au miroir d’Elise Vigier. Elle travaille actuellement avec l’auteur et metteur en scène Hervé Guilloteau sur un projet de court-métrage.

En parallèle, avec sa complice de longue date Tesslye Lopez, elle est accueillie en résidence à Trignac pour y développer une forme documentaire in situ. En duo, elles développent aussi un nouveau projet de film intitulé Faire tomber le quatrième mur.

Saisonnières

Documentaire – 52 min – 2025
 
Il y a plus d’un siècle, Lourdes connaissait les premiers afflux de pèlerins et l’essor du tourisme religieux. Après des décennies de fréquentation intense, la foule se fait plus rare. Lourdes semble être sur le point de vivre une nouvelle mue. Avec ma caméra, je suis allée à la rencontre de celles qui font vivre la ville aujourd’hui. Elles sont réceptionniste, vendeuse, photographe, hôtelière et posent un regard contemporain sur la cité des miracles. « Saisonnières » est une plongée dans la ville comme elle est rarement regardée.

Un film produit par Emmanuelle Jacq (Mille et Une Films) en coproduction avec France 3 Occitanie. Soutenu par l’aide au développement de la Région Pays de la Loire, l’aide à la production de la région Bretagne, par le CNC et la Procirep Angoa.

 

Un article de France Bleu pour en savoir plus sur le film à retrouver par ici