Karina Ykrelef, réalisatrice nantaise a participé il y a deux ans au Parcours d’auteurs de La Plateforme. Son court métrage, Rayon Frais, vient de décrocher une aide à la production du Conseil Régional des Pays de la Loire. Une étape supplémentaire dans le difficile parcours d’un film qui devrait lui permettre de tourner en 2020 ou 2021.
Ton parcours est atypique…
Je me destinais à devenir prof. Et puis, à la fac, à Grenoble, accident : j’ai découvert la radio, dans une radio associative. Mon enthousiasme s’est confirmé en travaillant pour une radio locale en Angleterre, à Manchester, où j’ai étudié pendant deux ans. J’ai adoré, au point de décider de bifurquer et de devenir journaliste. Ça n’a pas été facile, je me suis formée sur le tas, j’ai bossé un peu partout, d’abord dans le réseau des France Bleu, puis à RTL, d’abord à Lyon puis à la rédaction nationale à Paris. La radio, c’est déjà une forme de mise en scène. Ça a duré une bonne dizaine d’années, c’était très intéressant. Et puis le tournant des chaines d’info a changé la donne, il fallait accélérer, faire du breaking news tout le temps, réduire la durée des sons, donc un peu maltraiter les interviewés, et ça ne me convenait plus. On me demandait de faire court, et moi j’avais souvent envie de détourner l’info, d’être en dehors des clous, de dire d’autres choses sous la surface. J’avais envie de donner la parole autrement aussi. J’ai donc arrêté, et je suis devenue… prof d’anglais pour de bon cette fois, au lycée autogéré de Paris pendant deux ans. Ce lycée est un beau projet de société, très humain, qui accompagne le développement et l’épanouissement des jeunes le plus souvent décrocheurs plus qu’il ne leur impose des objectifs, un diplôme.
Il y a maintenant 3 ans, je me suis installée à Nantes. J’en avais marre de la vie trépidante de Paris et j’éprouvais le besoin de trouver du temps, de l’espace, de la disponibilité mentale, pour développer mes projets artistiques. J’avais deux projets, Rayon frais, déjà, et un spectacle vivant multidisciplinaire (théâtre, son, vidéo, musique live) sur la cinquième République. Mais ça n’avançait pas… Ça bouillonnait, mais ça n’avançait pas ; j’avais envie d’aller plus loin. Donc Nantes, pour réduire mes frais, être plus seule, avoir du temps pour faire grandir ces projets : en fait je me suis organisée une sorte de longue résidence toute seule ! Il y a eu des résidences à la Fabrique et des dates pour le spectacle vivant avec mon collectif La Bave, et puis mon film…
Depuis que je suis à Nantes, je gagne ma vie entre le journalisme et les cours d’anglais.
Rayon Frais navigue entre plusieurs genres.
Il y a plusieurs façons de lire Rayon Frais. C’est un polar, qui se déroule entre une zone commerciale désaffectée de ville moyenne et une maison de retraite. C’est aussi une comédie romantique, une histoire d’amour entre deux personnes âgées. Jeanine, incarnée par Marie Rivière, caissière, attend la retraite, et Léon, une sorte de caïd de maison de retraite organise toutes sortes de petits trafics. Ils vivent tous les deux dans une sorte de monde parallèle qui leur permet de supporter leur vie : Jeanine est fan de cryothérapie (le soin par le froid), Leon s’abreuve de films noirs. Ils ont un coup de foudre à la caisse. En fait c’est un peu un Bonnie and Clyde de 3ème âge, une course contre la mort en jouant à être des personnages de film.
Ce qui m’intéresse, c’est comment chacun s’arrange avec la vie, comment la fantaisie, le jeu et l’imaginaire permettent de vivre et de renaitre. Jeanine et Léon s’organisent le luxe d’aller dans des zones d’ombres d’eux-mêmes qu’ils n’ont pas eu la chance d’exprimer avant. Ils se permettent d’être libres, même à leur âge, surtout à leur âge.
Dans ce polar, les flics qui poursuivent les truands d’habitude, c’est la mort. On ne prononce jamais son nom, mais elle rôde plus que jamais : c’est elle qui les traque.
Quelles ont été les différentes phases de l’écriture du scénario ?
Ça a été difficile, éprouvant. Il a fallu écrire et réécrire un nombre incalculable de fois. On ne le dit pas assez souvent, mais écrire un scénario, c’est une torture ! Au début, il y a l’euphorie, mais on s’aperçoit vite qu’il faut aller chercher en soi ce qu’on veut vraiment dire, les raisons profondes de son désir de cette histoire. C’est en fait une forme d’introspection. À la fin, il faut que les lecteurs de ton texte voient le même film que toi. Mais pour y arriver, il faut beaucoup travailler, sur soi d’abord.
J’ai donc participé au Parcours d’auteurs de La Plateforme et c’est ça qui a vraiment fait démarrer le projet. Le fait que ce soit collaboratif, qu’on ait des retours non seulement du tuteur, mais aussi des autres participants est très riche, pas toujours facile, mais très riche.
J’ai trouvé dans le Parcours d’auteurs toute l’aide, la bienveillance dont j’avais besoin pour avancer. On est peu nombreux, il y a un esprit familial, on est en immersion totale. On a le luxe de se mettre dans une bulle et de sonder les raisons pour lesquelles on écrit. On est très bien accueillis, dans nos différences ; il y a une ouverture, une acceptation des projets de chacun et on apprend aussi beaucoup des récits des autres. Ça m’a donné l’énergie de continuer.
Le dispositif imaginé par La Plateforme permet que l’acte de création soit accompagné dans ce qu’il a de plus fragile : on est au plus près de nos projets, de leurs univers. Il y a aussi toute la partie technique de l’écriture, une forme de professionnalisation, d’exigence autour de l’objet scénario qui en France a surtout vocation à convaincre à la fois une production, des comédiens, des financements, une équipe…. Tout ! Ça m’a permis de sortir le projet de moi-même pour ensuite pouvoir me le réapproprier. L’exercice du pitch, le passage à l’oral avec l’aide des comédiennes du collectif nantais Brut.es, est en cela très formateur.
Le Parcours d’auteurs, et donc La Plateforme, m’ont apporté de l’expertise, de l’écoute, de la bienveillance. La méthode est novatrice parce que participative, collaborative : La Plateforme ne se positionne pas comme sachante mais comme un lieu où chaque adhérent apporte ses compétences propres de façon transversale, ce qui la fait grandir et lui permet de devenir elle-même experte et constamment ouverte et donc beaucoup plus efficace. La Plateforme, c’est un labo professionnel : les cadres sont là, mais ils ne sont jamais figés. On peut tout bouger, tout faire, tout créer. Ça circule, c’est un organisme vivant grâce aux différents bureaux, aux adhérents comme aux salariés. Les seules règles, c’est le respect des différences, il n’y a pas de compétition, on est là pour grandir ensemble. Même pendant le confinement, on continue à travailler, à proposer, à créer, à écrire, ou s’encourager à le faire, à avoir des contacts les uns avec les autres.
Dès la fin du Parcours d’auteurs, tu as cherché un producteur ?
J’ai en trouvé un premier, Thierry Bourcy chez Abordage Films, avec qui j’ai travaillé pendant deux mois. Il m’a beaucoup éclairée mais ça n’a pas abouti.
Grâce à Eurydice Calméjane, autrice-réalisatrice nantaise que j’ai rencontrée à La Plateforme via le bureau des auteurs, j’en ai trouvé un second, Adrien Barrouillet de White Star, qui m’accompagne aujourd’hui. Ça a été très évident tout de suite.
J’ai bénéficié d’un script-doctoring via la Maison du Film. Ce retour, même s’il ne se fait que par écrit, en une seule fois, même si c’est assez direct, m’a permis de prendre conscience que je n’étais pas prête.
J’ai donc voulu faire une deuxième résidence, même si mon producteur qui m’a très bien accompagnée n’était pas très d’accord. Je suis donc allée au Centre de Résidence d’écriture à l’image à Saint Quirin en Alsace. C’était différent de ce que propose La Plateforme, mais c’était complémentaire. Là encore, j’ai beaucoup réécrit.
J’ai aussi postulé au Moulin d’Andé ; si je n’ai pas été acceptée, j’ai eu des retours professionnels qui m’ont fait avancer.
Faire une résidence, c’est accepter de se faire bousculer, d’interroger les vraies raisons intimes qui te poussent à écrire. C’est souvent très inconfortable, mais ça aide à avoir conscience des raisons, parfois crues, pour lesquelles tu as ce désir de film, et donc de tirer le meilleur de ton histoire.
En fait, un scénario, c’est d’abord et avant tout du travail, du travail, et du travail… On travaille en écrivant, mais on n’écrit pas seulement sur un bureau. En marchant, en se brossant les dents, et même en dormant, il y a toujours un moment où tes personnages s’incrustent pour te souffler un dialogue, et te demander d’écrire autrement (rires). Il faut beaucoup se tromper, aller dans tous les coins de l’histoire, trouver ce à quoi tu tiens vraiment. Maintenant, je suis sûre de mon film, il n’y a aucune zone d’ombre : je me sens prête !
Tu as déjà commencé à travailler sur la musique
J’ai aussi pu bénéficier, via le Festival international de film d’Aubagne, d’un atelier musique dans le cadre du Marché de la Composition musicale. J’ai ainsi reçu les propositions de 7 compositeurs et j’en ai rencontré une, Lisa Chevalier, qui a tout compris à l’univers du film, entre reprises rock de standards de variété française et free-jazz. Elle m’a déjà envoyé des morceaux, en particulier le suranné « Les Neiges du Kilimanjaro », revisité en rock que je vois déjà sur les scènes du film. La composition musicale dès l’étape du scénario, ça ouvre aussi un champ des possibles intéressants, en plongeant les comédiens dans l’ambiance et le rythme du film pendant les répétitions à venir.
Où en es-tu en termes de production ?
Nous avons obtenu l’aide à la Production des Pays de Loire. Nous n’avons pas eu le CNC mais nous allons postuler à nouveau, nous attendons les retours des chaines d’ici deux mois. Il nous faut 80.000€ si nous voulons faire le film dans de bonnes conditions, salariales notamment.
Je veux tourner dans la région, avec des gens rencontrés à La Plateforme : je cherche à continuer à cultiver la fraternité que je ressens dans la filière ici et qui est exceptionnelle. Faire un court métrage, on ne le fait pas pour l’argent, il faut autre chose qui dépasse le simple fait de gagner sa vie. On fait ça pour participer au miracle de cette énergie collective, pour affirmer une vision du monde. C’est d’une certaine manière une sorte d’utopie qui prend vie, une forme de militantisme.
Mais on fait aussi des films car on a des choses à dire, il y a une forme de vanité dans cet acte : il faut croire que ce qu’on a envie de dire est suffisamment nouveau, suffisamment intéressant et indispensable pour rassembler tout cet argent et toutes ces énergies. C’est un peu un caprice indécent de vouloir être réalisatrice. Mais quand on réalise que ça peut ouvrir des portes de partage des imaginaires, des prises de conscience, de liberté de parole, on se dit que pourquoi pas… Après tout, j’ai longtemps été cinéphile avant de vouloir faire un film. On est tous tour à tour passeurs ou spectateurs, et c’est contagieux.
À présent j’ai hâte de tourner. J’ai déjà commencé à travailler avec les comédiens, sur le tournage, sur les décors : ça avance !
La Plateforme remercie chaleureusement Martin Gracineau, auteur de cette interview, pour sa précieuse contribution.