
Résumé
Un matin, un souvenir sombre s’invite dans ma salle de bain. Un traumatisme de l’enfance. Quelques années plus tard, je décide de mener l’enquête. Un voyage à découvert pour explorer les mystères de la femme forteresse qui m’a abîmée. Sur ma route, des intimes de ma grand-mère et des femmes qui ont travaillé pour elle. Je m’aventure dans l’envers des décors, dans la fabrique des conditions féminines. Une investigation qui me mènera au coeur de la ville des miracles.
Journal de bord #1
A l’origine de ce projet, il y a le sentiment que ce que je suis en train de vivre intimement résonne avec l’instant collectif et avec mon époque. Un moment clef où de nombreuses femmes prennent en main leurs histoires pour les raconter à leur façon, avec leurs mots. Comme pour d’autres, ma parole se heurte aux tabous familiaux, aux vieux schémas, aux non-dits, à la crainte du regard des autres, à la peur de blesser et de déplaire à mes proches. La nuit sera mon endroit est une histoire d’émancipation féminine.
La mise en route de ce projet a été notamment impulsée par mon précédent film Ya Hesra, un récit de voyage qui suit l’expérience intime de l’autrice Anaïs Allais. Ce film autoproduit, pour lequel je n’ai pas écrit une ligne avant de tourner est sélectionné en 2019 au festival de cinéma de Douarnenez. La programmatrice Virginie Pouchard lui offre une belle fenêtre de diffusion, deux projections salle comble. Cette semaine de festival a été intense, pleine de films, d’heureuses rencontres et de hasards qui font bien les choses.
Avant le festival, je m’étais fixé comme objectif de rencontrer la productrice Emmanuelle Jacq et l’avais invitée à la projection de Ya Hesra. A la sortie de Pas comme des loups, j’avais aimé la manière dont Vincent Pouplard parlait de leur collaboration. Je m’étais dit que le jour venu, c’est elle que j’appellerai en premier. J’ai retrouvé Emmanuelle pour un café un lendemain de fête au cœur du festival. Je lui ai raconté ma nouvelle envie de film. Un projet qui germait depuis quelques mois déjà. Un récit très personnel. Cette fois, il était hors de question de partir le nez au vent. Il me fallait être accompagnée pour le réaliser. Je voulais rêver, écrire, essayer, faire, défaire, oser à plusieurs.
Journal de bord #2
Jusqu’à ma participation au Parcours d’auteurs de la Plateforme, j’avais très peu expérimenté l’écriture documentaire. Adepte du cinéma direct et du cinéma d’intervention sociale, mes précédents films étaient principalement guidés par une intention forte directement mise à l’épreuve du réel. Cette approche spontanée laisse totalement place à l’imprévu lors du tournage sans susciter de frustration envers un attendu qui ne viendrait pas. Pour autant, elle est périlleuse puisqu’il faut parvenir à tenir les fils narratifs au montage pour tisser un film à l’arrivée.
Pour La Nuit sera mon endroit, j’ai su très tôt que je ne pourrais pas m’embarquer dans ce récit sans prendre le temps de l’écrire en amont. Dans ce film, je deviens mon propre sujet d’observation au travers de l’enquête que je mène sur mon histoire familiale. Les chances de me perdre en route étaient trop fortes.
En arrivant à la première session du Parcours d’auteurs, j’avais une certitude : mon premier écrit était beaucoup trop dense ; une attente : faire émerger de toutes ces idées une intention claire et une direction assumée. J’avais aussi beaucoup d’interrogations sur la manière d’écrire concrètement le documentaire sans risquer la fiction. Les séances collectives avec les neuf autres auteurs.trices du Parcours et les échanges avec la réalisatrice Anna Feillou m’ont permis de bousculer mes certitudes, d’explorer d’autres façons de faire, de trouver mon bon endroit. Pendant les six mois qu’a duré cette précieuse expérience, j’ai passé de nombreuses nuits à défaire et ré-écrire ce que je pensais être abouti la veille. J’ai mis environ quarante versions avant d’approcher réellement de mon film. J’ai cru que je n’y arriverais pas. Et puis, grâce aux regards affutés du groupe, à l’implication totale d’Anna, à la présence essentielle de l’équipe de la Plateforme, je suis parvenue à accoucher d’une version plus aboutie de mon projet. Loin d’être la dernière c’est certain, mais en route j’ai gagné en assurance, en connaissances et en amitiés.
Journal de bord #3
Je venais de passer des mois à imaginer et à écrire mon film sans pouvoir me rendre sur place. Coincée entre quatre murs et un kilomètre de liberté, jonglant entre d’autres reports et urgences, je commençais à m’inquiéter sérieusement : il me fallait absolument confronter mon envie de film à une réalité vivante et visuelle. En attendant de donner corps à mes images, je me plongeais dans celles des autres. Mariana Otero, Franck Beauvais, Yuki Kawamura, Laetitia Carton, Sarah Polley, Axel Salvatori et bien d’autres encore m’ont accompagnée pendant ces temps suspendus. J’ai aussi beaucoup lu, des femmes presque toujours. Des récits d’émancipation, de la littérature féministe, de la poésie. En m’aventurant dans d’autres histoires, j’aiguisais le regard que je porte sur la mienne.
Munie d’un zoom et de mon reflex, je suis enfin partie là-bas. C’était l’été mais tout était étrangement calme. Différent. Le monde ne se bousculait plus aux pieds de la ville. Ma manière de reprendre prise avec ce nouvel environnement a été de le photographier et de le filmer. Je n’ai pas cherché à illustrer ce que j’avais pu écrire auparavant, je me suis laissée porter par mon désir d’images. Dans ces moments là j’écoute beaucoup de musique, en quête de la parfaite B.O. de l’instant présent. Et puis je suis allée à la rencontre des témoins de mon enquête.
Je suis rentrée déboussolée. Pleine d’images, de sons et de doutes. Il m’a fallu deux mois pour atterrir, deux mois pendant lesquels je fus sèche de mots, deux mois avant de repartir à nouveau.
Journal de bord #4
Parfois le temps s’étire sans que rien de palpable ne se passe. Le film est pourtant là tout autour mais la matière semble éparpillée. J’ai les morceaux sous les yeux, les envies en tête, le chemin qui se dessine mais la forme ne m’apparaît pas clairement. Je cherche. Mon film est en développement.
Je vis avec mon film. Je suis constamment bombardé d’images, de sons, de mots qui nourrissent ma propre écriture. Je vis un alignement de planètes quotidien qui me fait écouter la bonne émission de radio, découvrir le film qu’il me manquait dans la vie, tomber nez à nez avec le livre essentiel ou rencontrer par hasard la personne qui va me sortir de l’ornière au moment où je désespérais d’avancer. C’est tantôt grisant tantôt abyssal. Que restera-t-il de toutes ces découvertes et expériences ?
Parfois le temps s’accélère quand les soutiens se manifestent. Il y a d’abord eu la productrice Emmanuelle Jacq de .Mille et Une. Films qui a choisi de m’accompagner. Puis les régions Pays de la Loire et Bretagne qui ont décidé de nous aider financièrement pour poursuivre ce développement. La SCAM qui m’offre aujourd’hui une seconde chance et des conseils pour approfondir mes pistes de recherches.
Ces soutiens vont me permettre de faire un pas de géant, d’accélérer le temps en me donnant les moyens d’essayer vraiment. De retourner sur place plus souvent, de faire des essais de prises de vues et sons, de pousser plus loin l’écriture. Derrière ces décisions, se cachent aussi les premier·e·s spectateur·rice·s de mon film. Si elles·ils ont pu s’y projeter à ce stade c’est que je suis sur la bonne voie. Ma petite histoire en raconte bien une autre, plus universelle.